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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

ficielle. La cause profonde est l’impulsion qui lança la vie dans le monde, qui la fit se scinder entre végétaux et animaux, qui aiguilla l’animalité sur la souplesse de la forme, et qui, à un certain moment, dans le règne animal menacé de s’assoupir, obtint, sur quelques points au moins, qu’on se réveillât et qu’on allât de l’avant.

Sur les deux voies, où évoluèrent séparément les Vertébrés et les Arthropodes, le développement (abstraction faite des reculs liés au parasitisme ou à toute autre cause) a consisté avant tout dans un progrès du système nerveux sensori-moteur. On cherche la mobilité, on cherche la souplesse, on cherche — à travers bien des tâtonnements, et non sans avoir donné d’abord dans une exagération de la masse et de la force brutale — la variété des mouvements. Mais cette recherche elle-même s’est faite dans des directions divergentes. Un coup d’œil jeté sur le système nerveux des Arthropodes et sur celui des Vertébrés nous avertit des différences. Chez les premiers, le corps est formé d’une série plus ou moins longue d’anneaux juxtaposés ; l’activité motrice se répartit alors entre un nombre variable, parfois considérable, d’appendices dont chacun a sa spécialité. Chez les autres, l’activité se concentre sur deux paires de membres seulement, et ces organes accomplissent des fonctions qui dépendent beaucoup moins étroitement de leur forme[1]. L’indépendance devient complète chez l’homme, dont la main peut exécuter n’importe quel travail.

Voilà du moins ce qu’on voit. Derrière ce qu’on voit il y a maintenant ce qu’on devine, deux puissances immanentes à la vie et d’abord confondues, qui ont dû se dissocier en grandissant.

  1. Voir, à ce sujet : Shaler, The Individual, New-York, 1900, p. 118-125.