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L’INTELLIGENCE ET L’INSTINCT

grandissant. La différence entre elles n’est pas une différence d’intensité, ni plus généralement de degré, mais de nature.


Il importe d’approfondir ce point. De la vie végétale et de la vie animale nous avons vu comment elles se complètent et comment elles s’opposent. Il s’agit maintenant de montrer que l’intelligence et l’instinct, eux aussi, s’opposent et se complètent. Mais disons d’abord pourquoi l’on est tenté d’y voir des activités dont la première serait supérieure à la seconde et s’y superposerait, alors qu’en réalité ce ne sont pas choses de même ordre, ni qui se soient succédé l’une à l’autre, ni auxquelles on puisse assigner des rangs.

C’est qu’intelligence et instinct, ayant commencé par s’entrepénétrer, conservent quelque chose de leur origine commune. Ni l’un ni l’autre ne se rencontrent jamais à l’état pur. Nous disions que, dans la plante, peuvent se réveiller la conscience et la mobilité de l’animal qui se sont endormies chez elle, et que l’animal vit sous la menace constante d’un aiguillage sur la vie végétative. Les deux tendances de la plante et de l’animal se pénétraient si bien d’abord qu’il n’y a jamais eu rupture complète entre elles : l’une continue à hanter l’autre ; partout nous les trouvons mêlées ; c’est la proportion qui diffère. Ainsi pour l’intelligence et l’instinct. Il n’y a pas d’intelligence où l’on ne découvre des traces d’instinct, pas d’instinct surtout qui ne soit entouré d’une frange d’intelligence. C’est cette frange d’intelligence qui a été cause de tant de méprises. De ce que l’instinct est toujours plus ou moins intelligent, on a conclu qu’intelligence et instinct sont choses de même ordre, qu’il n’y a entre eux qu’une différence de complication ou de perfection, et