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L’INTELLIGENCE ET L’INSTINCT

n’étant qu’une forme sans matière. Les deux tendances, d’abord impliquées l’une dans l’autre, ont dû se séparer pour grandir. Elles sont allées, chacune de son côté, chercher fortune dans le monde. Elles ont abouti à l’instinct et à l’intelligence.

Tels sont donc les deux modes divergents de connaissance par lesquels l’intelligence et l’instinct devront se définir, si c’est au point de vue de la connaissance qu’on se place, et non plus de l’action. Mais connaissance et action ne sont ici que deux aspects d’une seule et même faculté. Il est aisé de voir, en effet, que la seconde définition n’est qu’une nouvelle forme de la première.

Si l’instinct est, par excellence, la faculté d’utiliser un instrument naturel organisé, il doit envelopper la connaissance innée (virtuelle ou inconsciente, il est vrai) et de cet instrument et de l’objet auquel il s’applique. L’instinct est donc la connaissance innée d’une chose. Mais l’intelligence est la faculté de fabriquer des instruments inorganisés, c’est-à-dire artificiels. Si, par elle, la nature renonce à doter l’être vivant de l’instrument qui lui servira, c’est pour que l’être vivant puisse, selon les circonstances, varier sa fabrication. La fonction essentielle de l’intelligence sera donc de démêler, dans des circonstances quelconques, le moyen de se tirer d’affaire. Elle cherchera ce qui peut le mieux servir, c’est-à-dire s’insérer dans le cadre proposé. Elle portera essentiellement sur les relations entre la situation donnée et les moyens de l’utiliser. Ce qu’elle aura donc d’inné, c’est la tendance à établir des rapports, et cette tendance implique la connaissance naturelle de certaines relations très générales, véritable étoffe que l’activité propre à chaque intelligence taillera en relations plus particulières. Là où l’activité est orientée vers la fabrication, la connaissance porte donc nécessairement sur des