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FONCTION NATURELLE DE L’INTELLIGENCE

qu’elle sort des mains de la nature, a pour objet principal le solide inorganisé.

Si l’on passait en revue les facultés intellectuelles, on verrait que l’intelligence ne se sent à son aise, qu’elle n’est tout à fait chez elle, que lorsqu’elle opère sur la matière brute, en particulier sur des solides. Quelle est la propriété la plus générale de la matière brute ? Elle est étendue, elle nous présente des objets extérieurs à d’autres objets et, dans ces objets, des parties extérieures à des parties. Sans doute il nous est utile, en vue de nos manipulations ultérieures, de considérer chaque objet comme divisible en parties arbitrairement découpées, chaque partie étant divisible encore à notre fantaisie, et ainsi de suite à l’infini. Mais il nous est avant tout nécessaire, pour la manipulation présente, de tenir l’objet réel auquel nous avons affaire, ou les éléments réels en lesquels nous l’avons résolu, pour provisoirement définitifs et de les traiter comme autant d’unités. À la possibilité de décomposer la matière autant qu’il nous plaît, et comme il nous plaît, nous faisons allusion quand nous parlons de la continuité de l’étendue matérielle ; mais cette continuité, comme on le voit, se réduit pour nous à la faculté que la matière nous laisse de choisir le mode de discontinuité que nous lui trouverons : c’est toujours, en somme, le mode de discontinuité une fois choisi qui nous apparaît comme effectivement réel et qui fixe notre attention, parce que c’est sur lui que se règle notre action présente. Ainsi la discontinuité est pensée pour elle-même, elle est pensable en elle-même, nous nous la représentons par un acte positif de notre esprit, tandis que la représentation intellectuelle de la continuité est plutôt négative, n’étant, au fond, que le refus de notre esprit, devant n’importe quel système de décomposition actuellement donné, de le tenir