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NATURE DE L’INSTINCT

ger. Dans des cas extrêmes comme celui-ci, il coïncide avec le travail d’organisation.

Certes, il y a bien des degrés de perfection dans le même instinct. Entre le Bourdon et l’Abeille, par exemple, la distance est grande, et l’on passerait de l’un à l’autre par une foule d’intermédiaires, qui correspondent à autant de complications de la vie sociale. Mais la même diversité se retrouverait dans le fonctionnement d’éléments histologiques appartenant à des tissus différents, plus ou moins apparentés les uns aux autres. Dans les deux cas, il y a des variations multiples exécutées sur un même thème. La constance du thème n’en est pas moins manifeste, et les variations ne font que l’adapter à la diversité des circonstances.

Or, dans un cas comme dans l’autre, qu’il s’agisse des instincts de l’animal ou des propriétés vitales de la cellule, la même science et la même ignorance se manifestent. Les choses se passent comme si la cellule connaissait des autres cellules ce qui l’intéresse, l’animal des autres animaux ce qu’il pourra utiliser, tout le reste demeurant dans l’ombre. Il semble que la vie, dès qu’elle s’est contractée en une espèce déterminée, perde contact avec le reste d’elle-même, sauf cependant sur un ou deux points qui intéressent l’espèce qui vient de naître. Comment ne pas voir que la vie procède ici comme la conscience en général, comme la mémoire ? Nous traînons derrière nous, sans nous en apercevoir, la totalité de notre passé ; mais notre mémoire ne verse dans le présent que les deux ou trois souvenirs qui compléteront par quelque côté notre situation actuelle. La connaissance instinctive qu’une espèce possède d’une autre espèce sur un certain point particulier a donc sa racine dans l’unité même de la vie, qui est, pour employer l’expression d’un philosophe ancien, un