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VIE ET CONSCIENCE

données de l’intelligence ont ici d’insuffisant et nous laisser entrevoir le moyen de les compléter. D’un côté, en effet, elle utilisera le mécanisme même de l’intelligence à montrer comment les cadres intellectuels ne trouvent plus ici leur exacte application, et, d’autre part, par son travail propre, elle nous suggérera tout au moins le sentiment vague de ce qu’il faut mettre à la place des cadres intellectuels. Ainsi, elle pourra amener l’intelligence à reconnaître que la vie n’entre tout à fait ni dans la catégorie du multiple ni dans celle de l’un, que ni la causalité mécanique ni la finalité ne donnent du processus vital une traduction suffisante. Puis, par la communication sympathique qu’elle établira entre nous et le reste des vivants, par la dilatation qu’elle obtiendra de notre conscience, elle nous introduira dans le domaine propre de la vie, qui est compénétration réciproque, création indéfiniment continuée. Mais si, par là, elle dépasse l’intelligence, c’est de l’intelligence que sera venue la secousse qui l’aura fait monter au point où elle est. Sans l’intelligence, elle serait restée, sous forme d’instinct, rivée à l’objet spécial qui l’intéresse pratiquement, et extériorisée par lui en mouvements de locomotion.

Comment la théorie de la connaissance doit tenir compte de ces deux facultés, intelligence et intuition, et comment aussi, faute d’établir entre l’intuition et l’intelligence une distinction assez nette, elle s’engage dans d’inextricables difficultés, créant des fantômes d’idées auxquelles s’accrocheront des fantômes de problèmes, c’est ce que nous essaierons de montrer un peu plus loin. On verra que le problème de la connaissance, pris de ce biais, ne fait qu’un avec le problème métaphysique, et que l’un et l’autre relèvent alors de l’expérience. D’une part, en