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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

s’il est vrai que les grandes lignes de notre intelligence dessinent la forme générale de notre action sur la matière, et que le détail de la matière se règle sur les exigences de notre action. Intellectualité et matérialité se seraient constituées, dans le détail, par adaptation réciproque. L’une et l’autre dériveraient d’une forme d’existence plus vaste et plus haute. C’est là qu’il faudrait les replacer, pour les en voir sortir.

Une pareille tentative paraîtra, au premier abord, dépasser en témérité les spéculations les plus hardies des métaphysiciens. Elle prétendrait aller plus loin que la psychologie, plus loin que les cosmogonies, plus loin que la métaphysique traditionnelle, car psychologie, cosmologie et métaphysique commencent par se donner l’intelligence dans ce qu’elle a d’essentiel, au lieu qu’il s’agit ici de l’engendrer, dans sa forme et dans sa matière. L’entreprise est en réalité beaucoup plus modeste, comme nous allons le faire voir. Mais disons d’abord par où elle se distingue des autres.

Pour commencer par la psychologie, il ne faut pas croire qu’elle engendre l’intelligence quand elle en suit le développement progressif à travers la série animale. La psychologie comparée nous apprend que, plus un animal est intelligent, plus il tend à réfléchir sur les actions par lesquelles il utilise les choses et à se rapprocher ainsi de l’homme ; mais ses actions adoptaient déjà, par elles-mêmes, les principales lignes de l’action humaine, elles démêlaient dans le monde matériel les mêmes directions générales que nous y démêlons, elles s’appuyaient sur les mêmes objets reliés entre eux par les mêmes rapports, de sorte que l’intelligence animale, quoiqu’elle ne forme pas de concepts proprement dits, se meut déjà dans une atmosphère conceptuelle. Absorbée à tout instant par les