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INTELLIGENCE ET MATÉRIALITÉ

de l’esprit. Elle a commencé par aider celui-ci à redescendre sa pente à elle, elle lui a donné l’impulsion. Mais l’esprit continue, une fois lancé. La représentation qu’il forme de l’espace pur n’est que le schéma du terme où ce mouvement aboutirait. Une fois en possession de la forme d’espace, il s’en sert comme d’un filet aux mailles faisables et défaisables à volonté, lequel, jeté sur la matière, la divise comme les besoins de notre action l’exigent. Ainsi, l’espace de notre géométrie et la spatialité des choses s’engendrent mutuellement par l’action et la réaction réciproques de deux termes qui sont de même essence, mais qui marchent en sens inverse l’un de l’autre. Ni l’espace n’est aussi étranger à notre nature que nous nous le figurons, ni la matière n’est aussi complètement étendue dans l’espace que notre intelligence et nos sens se la représentent.

Nous avons traité du premier point ailleurs. En ce qui concerne le second, nous nous bornerons à faire observer que la spatialité parfaite consisterait en une parfaite extériorité des parties les unes par rapport aux autres, c’est-à-dire en une indépendance réciproque complète. Or, il n’y a pas de point matériel qui n’agisse sur n’importe quel autre point matériel. Si l’on remarque qu’une chose est véritablement là où elle agit, on sera conduit à dire (comme le faisait Faraday[1] que tous les atomes s’entrepénètrent et que chacun d’eux remplit le monde. Dans une pareille hypothèse, l’atome ou plus généralement le point matériel devient une simple vue de l’esprit, celle où l’on arrive en continuant assez loin le travail (tout relatif à notre faculté d’agir) par lequel nous subdivisons la matière en corps. Pourtant il est incontestable que la

  1. Faraday, A speculation concerning electric conduction (Philos. Magazine, 3e série, vol. XXIV).