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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

tence, même comme « problématique » ? Si l’inconnaissable réalité projette dans notre faculté de percevoir une diversité sensible, capable de s’y insérer exactement, n’est-elle pas, par là même, connue en partie ? Et, en approfondissant cette insertion, n’allons-nous pas être amenés, sur un point tout au moins, à supposer entre les choses et notre esprit un accord préétabli, — hypothèse paresseuse, dont Kant avait raison de vouloir se passer ? Au fond, c’est pour n’avoir pas distingué de degrés dans la spatialité que Kant a dû se donner l’espace tout fait, — d’où la question de savoir comment la « diversité sensible » s’y adapte. C’est pour la même raison qu’il a cru la matière entièrement développée en parties absolument extérieures les unes aux autres : de là des antinomies, dont on verrait sans peine que la thèse et l’antithèse supposent la coïncidence parfaite de la matière avec l’espace géométrique, mais qui s’évanouissent dès qu’on cesse d’étendre à la matière ce qui est vrai de l’espace pur. De là enfin la conclusion qu’il y a trois alternatives, et trois seulement, entre lesquelles opter pour la théorie de la connaissance : ou l’esprit se règle sur les choses, ou les choses se règlent sur l’esprit, ou il faut supposer entre les choses et l’esprit une concordance mystérieuse.

Mais la vérité est qu’il y en a une quatrième, à laquelle Kant ne paraît pas avoir songé, — d’abord parce qu’il ne pensait pas que l’esprit débordât l’intelligence, ensuite (et c’est, au fond, la même chose) parce qu’il n’attribuait pas à la durée une existence absolue, ayant mis a priori le temps sur la même ligne que l’espace. Cette solution consisterait d’abord à considérer l’intelligence comme une fonction spéciale de l’esprit, essentiellement tournée vers la matière inerte. Elle consisterait ensuite à dire que ni la matière ne détermine la forme de l’intelligence, ni l’intel-