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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

même genre. Supposons aussi que l’idée de désordre surgisse dans notre esprit toutes les fois que, cherchant l’une des deux espèces d’ordre, nous rencontrons l’autre. L’idée de désordre aurait alors une signification nette dans la pratique courante de la vie ; elle objectiverait, pour la commodité du langage, la déception d’un esprit qui trouve devant lui un ordre différent de celui dont il a besoin, ordre dont il n’a que faire pour le moment, et qui, en ce sens, n’existe pas pour lui. Mais elle ne comporterait aucun emploi théorique. Que si nous prétendons, malgré tout, l’introduire en philosophie, infailliblement nous perdrons de vue sa signification vraie. Elle notait l’absence d’un certain ordre, mais au profit d’un autre (dont on n’avait pas à s’occuper) ; seulement, comme elle s’applique à chacun des deux tour à tour, et même qu’elle va et vient sans cesse entre les deux, nous la prendrons en route, ou plutôt en l’air, comme le volant entre les deux raquettes, et nous la traiterons comme si elle représentait, non plus l’absence de l’un ou de l’autre ordre indifféremment, mais l’absence des deux ensemble, — chose qui n’est ni perçue ni conçue, simple entité verbale. Ainsi naîtrait le problème de savoir comment l’ordre s’impose au désordre, la forme à la matière. En analysant l’idée de désordre ainsi subtilisée, on verrait qu’elle ne représente rien du tout, et du même coup s’évanouiraient les problèmes qu’on faisait lever autour d’elle.

Il est vrai qu’il faudrait commencer par distinguer, par opposer même l’une à l’autre, deux espèces d’ordre que l’on confond d’ordinaire ensemble. Comme cette confusion a créé les principales difficultés du problème de la connaissance, il ne sera pas inutile d’appuyer encore une fois sur les traits par où les deux ordres se distinguent.