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LES GENRES ET LES LOIS

vivants dans le même groupe, est à nos yeux le type même du générique, les genres inorganiques nous paraissant prendre les genres vivants pour modèle. Il se trouve ainsi que l’ordre vital, tel qu’il s’offre à nous dans l’expérience qui le morcelle, présente le même caractère et accomplit la même fonction que l’ordre physique : l’un et l’autre font que notre expérience se répète, l’un et l’autre permettent que notre esprit généralise. En réalité, ce caractère a des origines toutes différentes dans les deux cas, et même des significations opposées. Dans le second, il a pour type, pour limite idéale, et aussi pour fondement, la nécessité géométrique en vertu de laquelle les mêmes composantes donnent une résultante identique. Dans le premier, il implique au contraire l’intervention de quelque chose qui s’arrange de manière à obtenir le même effet, alors même que les causes élémentaires, infiniment complexes, peuvent être toutes différentes. Nous avons insisté sur ce dernier point dans notre premier chapitre, quand nous avons montré comment des structures identiques se rencontrent sur des lignes d’évolution indépendantes. Mais, sans chercher aussi loin, on peut présumer que la seule reproduction du type de l’ascendant par ses descendants est déjà tout autre chose que la répétition d’une même composition de forces qui se résumeraient dans une résultante identique. Quand on pense à l’infinité d’éléments infinitésimaux et de causes infinitésimales qui concourent à la genèse d’un être vivant, quand on songe qu’il suffirait de l’absence ou de la déviation de l’un d’eux pour que rien ne marchât plus, le premier mouvement de l’esprit est de faire surveiller cette armée de petits ouvriers par un contremaître avisé, le « principe vital », qui réparerait à tout instant les fautes commises, corrigerait l’effet des distractions, remettrait les choses en place :