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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

se meuvent dans l’espace et dans le temps, mais aussi pourquoi il y a de l’espace et du temps, pourquoi du mouvement, pourquoi des choses.

Cette conception, qui transparaît de plus en plus sous les raisonnements des philosophes grecs à mesure qu’on va de Platon à Plotin, nous la formulerions ainsi : La position d’une réalité implique la position simultanée de tous les degrés de réalité intermédiaires entre elle et le pur néant. Le principe est évident lorsqu’il s’agit du nombre : nous ne pouvons poser le nombre 10 sans poser, par là même, l’existence des nombres, 9, 8, 7…, etc., enfin de tout intervalle entre 10 et zéro. Mais notre esprit passe naturellement, ici, de la sphère de la quantité à celle de la qualité. Il nous semble qu’une certaine perfection étant donnée, toute la continuité des dégradations est donnée aussi entre cette perfection, d’une part, et d’autre part le néant que nous nous imaginons concevoir. Posons donc le Dieu d’Aristote, pensée de la pensée, c’est-à-dire pensée faisant cercle, se transformant de sujet en objet et d’objet en sujet par un processus circulaire instantané, ou mieux éternel. Comme, d’autre part, le néant paraît se poser lui-même et que, ces deux extrémités étant données, l’intervalle entre elles l’est également, il s’ensuit que tous les degrés descendants de l’être, depuis la perfection divine jusqu’au « rien absolu », se réaliseront, pour ainsi dire, automatiquement dès qu’on aura posé Dieu.

Parcourons alors cet intervalle de haut en bas. D’abord, il suffit de la plus légère diminution du premier principe pour que l’être soit précipité dans l’espace et le temps, mais la durée et l’étendue qui représentent cette première diminution seront aussi voisines que possible de l’inextension et de l’éternité divines. Nous devrons donc nous