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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

centre, c’est le mouvement naturel d’un corps qui, séparé de la terre à laquelle il appartenait, y va maintenant retrouver sa place. On note donc le terme final ou le point culminant (τέλος, ἀκμή), on l’érige en moment essentiel, et ce moment, que le langage a retenu pour exprimer l’ensemble du fait, suffit aussi à la science pour le caractériser. Dans la physique d’Aristote, c’est par les concepts du haut et du bas, de déplacement spontané et de déplacement contraint, de lieu propre et de lieu étranger, que se définit le mouvement d’un corps lancé dans l’espace ou tombant en chute libre. Mais Galilée estima qu’il n’y avait pas de moment essentiel, pas d’instant privilégié : étudier le corps qui tombe, c’est le considérer à n’importe quel moment de sa course. La vraie science de la pesanteur sera celle qui déterminera, pour un instant quelconque du temps, la position du corps dans l’espace. Il lui faudra pour cela, il est vrai, des signes autrement précis que ceux du langage.

On pourrait donc dire que notre physique diffère sur tout de celle des anciens par la décomposition indéfinie qu’elle opère du temps. Pour les anciens, le temps comprend autant de périodes indivises que notre perception naturelle et notre langage y découpent de faits successifs présentant une espèce d’individualité. C’est pourquoi chacun de ces faits ne comporte, à leurs yeux, qu’une définition ou une description globales. Que si, en le décrivant, on est amené à y distinguer des phases, on aura plusieurs faits au lieu d’un seul, plusieurs périodes indivises au lieu d’une période unique ; mais toujours le temps aura été divisé en périodes déterminées, et toujours ce mode de division aura été imposé à l’esprit par des crises apparentes du réel, comparables à celle de la puberté, par le déclanchement apparent d’une nouvelle forme. Pour un