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LA SCIENCE MODERNE

mentale. Il a pu arriver accidentellement aux anciens d’expérimenter en vue de mesurer, comme aussi de découvrir une loi qui énonçât une relation constante entre des grandeurs. Le principe d’Archimède est une véritable loi expérimentale. Il fait entrer en ligne de compte trois grandeurs variables : le volume d’un corps, la densité du liquide où on l’immerge, la poussée de bas en haut qu’il subit. Et il énonce bien, en somme, que l’un de ces trois termes est fonction des deux autres.

La différence essentielle, originelle, doit donc être cherchée ailleurs. C’est celle même que nous signalions d’abord. La science des anciens est statique. Ou elle considère en bloc le changement qu’elle étudie, ou, si elle le divise en périodes, elle fait de chacune de ces périodes un bloc à son tour : ce qui revient à dire qu’elle ne tient pas compte du temps. Mais la science moderne s’est constituée autour des découvertes de Galilée et de Kepler, qui lui ont tout de suite fourni un modèle. Or, que disent les lois de Kepler ? Elles établissent une relation entre les aires décrites par le rayon vecteur héliocentrique d’une planète et les temps employés à les décrire, entre le grand axe de l’orbite et le temps mis à la parcourir. Quelle fut la principale découverte de Galilée ? Une loi qui reliait l’espace parcouru par un corps qui tombe au temps occupé par la chute. Allons plus loin. En quoi consista la première des grandes transformations de la géométrie dans les temps modernes ? À introduire, sous une forme voilée, il est vrai, le temps et le mouvement jusque dans la considération des figures. Pour les anciens, la géométrie était une science purement statique. Les figures en étaient données tout d’un coup, à l’état achevé, semblables aux Idées platoniciennes. Mais l’essence de la géométrie cartésienne (bien que Descartes ne lui ait pas donné cette forme) fut de