Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
L’ÉVOLUTION DE LA VIE

vivant ne trouve pas sa raison d’être dans le moment immédiatement antérieur, qu’il faut y joindre tout le passé de l’organisme, son hérédité, enfin l’ensemble d’une très longue histoire. En réalité, c’est la seconde de ces deux hypothèses qui traduit l’état actuel des sciences biologiques, et même leur direction. Quant à l’idée que le corps vivant pourrait être soumis par quelque calculateur surhumain au même traitement mathématique que notre système solaire, elle est sortie peu à peu d’une certaine métaphysique qui a pris une forme plus précise depuis les découvertes physiques de Galilée, mais qui, — nous le montrerons, — fut toujours la métaphysique naturelle de l’esprit humain. Sa clarté apparente, notre impatient désir de la trouver vraie, l’empressement avec lequel tant d’excellents esprits l’acceptent sans preuve, toutes les séductions enfin qu’elle exerce sur notre pensée devraient nous mettre en garde contre elle. L’attrait qu’elle a pour nous prouve assez qu’elle donne satisfaction à une inclination innée. Mais, comme on le verra plus loin, les tendances intellectuelles, aujourd’hui innées, que la vie a dû créer au cours de son évolution, sont faites pour tout autre chose que pour nous fournir une explication de la vie.

C’est à l’opposition de cette tendance qu’on vient se heurter, dès qu’on veut distinguer entre un système artificiel et un système naturel, entre le mort et le vivant. Elle fait qu’on éprouve une égale difficulté à penser que l’organisé dure et que l’inorganisé ne dure pas. Eh quoi, dira-t-on, en affirmant que l’état d’un système artificiel dépend exclusivement de son état au moment précédent, ne faites-vous pas intervenir le temps, ne mettez-vous pas le système dans la durée ? Et d’autre part, ce passé qui, selon vous, fait corps avec le moment actuel de l’être vi-