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LA CRITIQUE DE KANT

intuition se trouve ainsi être sensible, par définition. Mais entre l’existence physique, qui est éparpillée dans l’espace, et une existence intemporelle, qui ne pourrait être qu’une existence conceptuelle et logique comme celle dont parlait le dogmatisme métaphysique, n’y a-t-il pas place pour la conscience et pour la vie ? Oui, incontestablement. On s’en aperçoit dès qu’on se place dans la durée pour aller de là aux moments, au lieu de partir des moments pour les relier en durée.

Pourtant c’est du côté d’une intuition intemporelle que s’orientèrent les successeurs immédiats de Kant pour échapper au relativisme kantien. Certes, les idées de devenir, de progrès, d’évolution, paraissent occuper une large place dans leur philosophie. Mais la durée y joue-t-elle véritablement un rôle ? La durée réelle est celle où chaque forme dérive des formes antérieures, tout en y ajoutant quelque chose, et s’explique par elles dans la mesure où elle peut s’expliquer. Mais déduire cette forme, directement, de l’Être global qu’elle est supposée manifester, c’est revenir au Spinozisme. C’est, comme Leibniz et comme Spinoza, dénier à la durée toute action efficace. La philosophie post-kantienne, si sévère qu’elle ait pu être pour les théories mécanistiques, accepte du mécanisme l’idée d’une science une, la même pour toute espèce de réalité. Et elle est plus près de cette doctrine qu’elle ne se l’imagine ; car si, dans la considération de la matière, de la vie et de la pensée, elle remplace les degrés successifs de complication, que supposait le mécanisme, par des degrés de réalisation d’une Idée ou par des degrés d’objectivation d’une Volonté, elle parle encore de degrés, et ces degrés sont ceux d’une échelle que l’être parcourrait dans un sens unique. Bref, elle démêle dans la nature les mêmes articulations qu’y démêlait le mécanisme ; du mé-