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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

les plus complexes ; mais ni des uns ni des autres vous n’aurez retracé la genèse, et cette addition de l’évolué à l’évolué ne ressemblera pas du tout au mouvement d’évolution lui-même.

Telle est pourtant l’illusion de Spencer. Il prend la réalité sous sa forme actuelle ; il la brise, il l’éparpille en fragments qu’il jette au vent ; puis il « intègre » ces fragments et il en « dissipe le mouvement ». Ayant imité le Tout par un travail de mosaïque, il s’imagine en avoir retracé le dessin et fait la genèse.

S’agit-il de la matière ? Les éléments diffus qu’il intègre en corps visibles et tangibles ont tout l’air d’être les particules mêmes des corps simples, qu’il suppose d’abord disséminées à travers l’espace. Ce sont, en tout cas, des « points matériels » et par conséquent des points invariables, de véritables petits solides : comme si la solidité, étant ce qu’il y a de plus près de nous et de plus manipulable par nous, pouvait être à l’origine même de la matérialité ! Plus la physique progresse, plus elle montre l’impossibilité de se représenter les propriétés de l’éther ou de l’électricité, base probable de tous les corps, sur le modèle des propriétés de la matière que nous apercevons. Mais la philosophie remonte plus haut encore que l’éther, simple figuration schématique des relations saisies par nos sens entre les phénomènes. Elle sait bien que ce qu’il y a de visible et de tangible dans les choses représente notre action possible sur elles. Ce n’est pas en divisant l’évolué qu’on atteindra le principe de ce qui évolue. Ce n’est pas en recomposant l’évolué avec lui-même qu’on reproduira l’évolution dont il est le terme.

S’agit-il de l’esprit ? Par la composition du réflexe avec le réflexe, Spencer croit engendrer tour à tour l’instinct et la volonté raisonnable. Il ne voit pas que le réflexe spécia-