Page:Bergson - Le Rire.djvu/215

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autre qui ressemblait à celle-là, et ainsi de suite ; le rebondissement du comique est sans fin, car nous aimons à rire et tous les prétextes nous sont bons ; le mécanisme des associations d’idées est ici d’une complication extrême ; de sorte que le psychologue qui aura abordé l’étude du comique avec cette méthode, et qui aura dû lutter contre des difficultés sans cesse renaissantes au lieu d’en finir une bonne fois avec le comique en l’enfermant dans une formule, risquera toujours de s’entendre dire qu’il n’a pas rendu compte de tous les faits. Quand il aura appliqué sa théorie aux exemples qu’on lui oppose, et prouvé qu’ils sont devenus comiques par ressemblance avec ce qui était comique en soi-même, on en trouvera facilement d’autres, et d’autres encore : il aura toujours à travailler. En revanche, il aura étreint le comique, au lieu de l’enclore dans un cercle plus ou moins large. Il aura, s’il réussit, donné le moyen de fabriquer du comique. Il aura procédé avec la rigueur et la précision du savant, qui ne croit pas avoir avancé dans la connaissance d’une chose quand il lui a décerné telle ou telle épithète, si juste soit-elle (on en trouve toujours beaucoup qui conviennent) : c’est une analyse qu’il faut, et l’on est sûr d’avoir parfaitement analysé quand on est capable de recomposer. Telle est l’entreprise que j’ai tentée.

« J’ajoute qu’en même temps que j’ai voulu déterminer les procédés de fabrication du risible, j’ai cherché quelle est l’intention de la société quand elle rit. Car il est très étonnant qu’on rie, et la méthode d’explication dont je parlais plus haut n’éclaircit pas ce petit mystère. Je ne vois pas, par exemple, pourquoi la « désharmonie », en tant que désharmonie, provoquerait de la part des témoins une manifestation spécifique telle que le rire, alors que tant d’autres propriétés, qualités ou défauts, laissent impassibles chez le spectateur les muscles du