Page:Bergson - Le Rire.djvu/84

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peine. La véritable scène n’est plus alors entre Alceste et Oronte, mais bien entre Alceste et Alceste lui-même. De ces deux Alceste, il y en a un qui voudrait éclater, et l’autre qui lui ferme la bouche au moment où il va tout dire. Chacun des « Je ne dis pas cela ! » représente un effort croissant pour refouler quelque chose qui pousse et presse pour sortir. Le ton de ces « Je ne dis pas cela ! » devient donc de plus en plus violent, Alceste se fâchant de plus en plus — non pas contre Oronte, comme il le croit, mais contre lui-même. Et c’est ainsi que la tension du ressort va toujours se renouvelant, toujours se renforçant, jusqu’à la détente finale. Le mécanisme de la répétition est donc bien encore le même.

Qu’un homme se décide à ne plus jamais dire que ce qu’il pense, dût-il « rompre en visière à tout le genre humain », cela n’est pas nécessairement comique ; c’est de la vie, et de la meilleure. Qu’un autre homme, par douceur de caractère, égoïsme ou dédain, aime mieux dire aux gens ce qui les flatte, ce n’est que de la vie encore ; il n’y a rien là pour nous faire rire. Réunissez même