Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/121

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blème que nous posions, et qui est de savoir comment des superstitions absurdes ont pu et peuvent encore gouverner la vie d’êtres raisonnables, subsiste donc tout entier. Nous disions qu’on a beau parler de mentalité primitive, le problème n’en concerne pas moins la psychologie de l’homme actuel. Nous ajouterons qu’on a beau parler de représentations collectives, la question ne s’en pose pas moins à la psychologie de l’homme individuel.

Mais, justement, la difficulté ne tiendrait-elle pas d’abord à ce que notre psychologie ne se soucie pas assez de subdiviser son objet selon les lignes marquées par la nature ? Les représentations qui engendrent des superstitions ont pour caractère commun d’être fantasmatiques. La psychologie les rapporte à une faculté générale, l’imagination. Sous la même rubrique elle classera d’ailleurs les découvertes et les inventions de la science, les réalisations de l’art. Mais pourquoi grouper ensemble des choses aussi différentes, leur donner le même nom, et suggérer ainsi l’idée d’une parenté entre elles ? C’est uniquement pour la commodité du langage, et pour la raison toute négative que ces diverses opérations ne sont ni perception, ni mémoire, ni travail logique de l’esprit. Convenons alors de mettre à part les représentations fantasmatiques, et appelons « fabulation » ou « fiction » l’acte qui les fait surgir. Ce sera un premier pas vers la solution du problème. Remarquons maintenant que la psychologie, quand elle décompose l’activité de l’esprit en opérations, ne s’occupe pas assez de savoir à quoi sert chacune d’elles : c’est justement pourquoi la subdivision est trop souvent insuffisante ou artificielle. L’homme peut sans doute rêver ou philosopher, mais il doit vivre d’abord ; nul doute que notre structure psycho-