Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/131

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tous ne se valent peut-être pas, les sauts n’ayant pas franchi dans tous les cas la même distance. Ils n’en avaient pas moins la même direction. On pourrait dire, en évitant d’attribuer au mot un sens anthropomorphique, qu’ils correspondent à une même intention de la vie.

Que d’ailleurs l’espèce humaine soit sortie ou non d’une souche unique, qu’il y ait un ou plusieurs spécimens irréductibles d’humanité, peu importe : l’homme présente toujours deux traits essentiels, l’intelligence et la sociabilité. Mais, du point de vue où nous nous plaçons, ces caractères prennent une signification spéciale. Ils n’intéressent plus seulement le psychologue et le sociologue. Ils appellent d’abord une interprétation biologique. Intelligence et sociabilité doivent être replacées dans l’évolution générale de la vie.

Pour commencer par la sociabilité, nous la trouvons sous sa forme achevée aux deux points culminants de l’évolution, chez les insectes hyménoptères tels que la fourmi et l’abeille, et chez l’homme. A l’état de simple tendance, elle est partout dans la nature. On a pu dire que l’individu était déjà une société : des protozoaires, formés d’une cellule unique, auraient constitué des agrégats, lesquels, se rapprochant à leur tour, auraient donné des agrégats d’agrégats ; les organismes les plus différenciés auraient ainsi leur origine dans l’association d’organismes à peine différenciés et élémentaires. Il y a là une exagération évidente ; le « polyzoïsme » est un fait exceptionnel et anormal. Mais il n’en est pas moins vrai que les choses se passent dans un organisme supérieur comme si des cellules s’étaient associées pour se partager entre elles le travail. La hantise de la forme sociale, qu’on trouve dans un si grand nombre d’espèces, se révèle