Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/158

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main renonce bien vite à se mouvoir ; votre volonté se rétracte à l’intérieur d’elle-même ; mais, à mesure qu’elle quitte la place, une entité s’y installe, qui émane d’elle et reçoit d’elle une délégation : c’est la veine, en laquelle le parti pris de gagner se transfigure. La veine n’est pas une personne complète ; il faut plus que cela pour faire une divinité. Mais elle en a certains éléments, juste assez pour que vous vous en remettiez à elle.

À une puissance de ce genre le sauvage fait appel pour que sa flèche touche le but. Franchissez les étapes d’une longue évolution : vous aurez les dieux protecteurs de la cité, qui doivent assurer la victoire aux combattants.

Mais remarquez que dans tous les cas c’est par des moyens rationnels, c’est en se réglant sur des consécutions mécaniques de causes et d’effets, qu’on met les choses en train. On commence par accomplir ce qui dépend de soi ; c’est seulement quand on ne se sent plus capable de s’aider soi-même qu’on s’en remet à une puissance extra-mécanique, eût-on même placé dès l’abord sous son invocation, puisqu’on la croyait présente, l’acte dont on ne se sentait nullement dispensé par elle. Mais ce qui pourra tromper ici le psychologue, c’est que la seconde causalité est la seule dont on parle. De la première on ne dit rien, parce qu’elle va de soi. Elle régit les actes qu’on accomplit avec la matière pour instrument ; ou joue et l’on vit la croyance qu’on a en elle ; à quoi servirait de la traduire en mots et d’en expliciter l’idée ? Ce ne serait utile que si l’on possédait déjà une science capable d’en profiter. Mais à la seconde causalité il est bon de penser, parce qu’on y trouve tout au moins un encouragement et un stimulant. Si la science fournissait au non-civilisé un dispositif qui l’assurât mathématiquement de toucher le but, c’est à la causalité mécanique