Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/222

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chacun d’eux. Individu et société se conditionnent donc, circulairement. Le cercle, voulu par la nature, a été rompu par l’homme le jour où il a pu se replacer dans l’élan créateur, poussant la nature humaine en avant au lieu de la laisser pivoter sur place. C’est de ce jour que date une religion essentiellement individuelle, devenue par là, il est vrai, plus profondément sociale, Mais nous reviendrons sur ce point. Disons seulement que la garantie apportée par la société à la croyance individuelle, en matière religieuse, suffirait déjà à mettre hors de pair ces inventions de la faculté fabulatrice.

Mais il faut tenir compte d’autre chose encore. Nous avons vu comment les anciens assistaient, impassibles, à la genèse de tel ou tel dieu. Désormais, ils croiraient en lui comme en tous les autres. Ce serait inadmissible, si l’on supposait que l’existence de leurs dieux était de même nature pour eux que celle des objets qu’ils voyaient et touchaient. Elle était réelle, mais d’une réalité qui n’était pas sans dépendre de la volonté humaine.

Les dieux de la civilisation païenne se distinguent en effet des entités plus anciennes, elfes, gnomes, esprits, dont ne se détacha jamais la foi populaire. Celles-ci étaient issues presque immédiatement de la faculté fabulatrice, qui nous est naturelle ; et elles étaient adoptées comme elles avaient été produites, naturellement. Elles dessinaient le contour exact du besoin d’où elles étaient sorties. Mais la mythologie, qui est une extension du travail primitif, dépasse de tous côtés ce besoin ; l’intervalle qu’elle laisse entre lui et elle est rempli par une matière dans le choix de laquelle le caprice humain a une large part, et l’adhésion qu’on lui donne s’en ressent. C’est toujours la même faculté qui intervient, et elle obtient, pour l’ensemble de ses