Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne survient que pour donner satisfaction à des esprits plus Cultivés ; la religion subsiste, dans le peuple, telle que nous l’avons décrite. Là même où le mélange se fait, les éléments conservent leur individualité : la religion aura des velléités de spéculer, la philosophie ne se désintéressera pas d’agir ; mais la première n’en restera pas moins essentiellement action, et la seconde, par-dessus tout, pensée. Quand la religion est réellement devenue philosophie chez les anciens, elle a plutôt déconseillé d’agir et renoncé à ce qu’elle était venue faire dans le monde. Était-ce encore de la religion ? Nous pouvons donner aux mots le sens que nous voulons, pourvu que nous commencions par le définir ; mais nous aurions tort de le faire quand par hasard nous nous trouvons devant un mot qui désigne une découpure naturelle des choses — ici nous devrons tout au plus exclure de l’extension du terme tel ou tel objet qu’on y aurait accidentellement compris. C’est ce qui arrive pour la religion. Nous avons montré comment on donne ordinairement ce nom à des représentations orientées vers l’action et suscitées par la nature dans un intérêt déterminé ; on a pu exceptionnellement, et pour des raisons qu’il est facile d’apercevoir, étendre l’application du mot à des représentations qui ont un autre objet ; la religion n’en devra pas moins être définie conformément à ce que nous avons appelé l’intention de la nature.

Nous avons maintes fois expliqué ce qu’il faut entendre ici par intention. Et nous nous sommes longuement appesanti, dans le présent chapitre, sur la fonction que la nature avait assignée à la religion. Magie, culte des esprits ou des animaux, adoration des dieux, mythologie, superstitions de tout genre paraîtront très complexes si on les prend un à un. Mais l’ensemble en est fort simple.

L’homme est le seul animal dont l’action soit mal assurée,