Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/229

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appelons statique et dont nous dirions que c’est la religion naturelle, si l’expression n’avait pris un autre sens. Nous n’avons donc qu’à nous résumer pour définir cette religion en termes précis. C’est une réaction défensive de la nature contre ce qu’il pourrait y avoir de déprimant pour l’individu, et de dissolvant pour la société, dans l’exercice de l’intelligence.

Terminons par deux remarques, pour prévenir deux malentendus. Quand nous disons qu’une des fonctions de la religion, telle qu’elle a été voulue par la nature, est de maintenir la vie sociale, nous n’entendons pas par là qu’il y ait solidarité entre cette religion et la morale. L’histoire témoigne du contraire. Pécher a toujours été offenser la divinité ; mais il s’en faut que la divinité ait toujours pris offense de l’immoralité ou même du crime : il lui est arrivé de les prescrire. Certes, l’humanité semble avoir souhaité en général que ses dieux fussent bons ; souvent elle a mis les vertus sous leur invocation ; peut-être même la coïncidence que nous signalions entre la morale et la religion originelles, l’une et l’autre rudimentaires, a-t-elle laissé au fond de l’âme humaine le vague idéal d’une morale précise et d’une religion organisée qui s’appuieraient l’une sur l’autre. Il n’en est pas moins vrai que la morale s’est précisée à part, que les religions ont évolué à part, et que les hommes ont toujours reçu leurs dieux de la tradition sans leur demander d’exhiber un certificat de moralité ni de garantir l’ordre moral. Mais c’est qu’il faut distinguer entre les obligations sociales d’un caractère très général, sans lesquelles aucune vie en commun n’est possible, et le lien social particulier, concret, qui fait que les membres d’une certaine communauté sont attachés à sa conservation. Les premières se sont dégagées peu à peu du fond confus de coutumes que nous avons montré à l’