Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/239

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fonction fabulatrice ; bref, sa confiance dans la vie restera à peu près telle que l’avait instituée la nature. Mais elle feindra sincèrement d’avoir recherché et obtenu en quelque mesure ce contact avec le principe même de la nature qui se traduit par un tout autre attachement à la vie, par une confiance transfigurée. Incapable de s’élever aussi haut, elle esquissera le geste, elle prendra l’attitude, et, dans ses discours, elle réservera la plus belle place à des formules qui n’arrivent pas à se remplir pour elle de tout leur sens, comme ces fauteuils restés vides qu’on avait préparés pour de grands personnages dans une cérémonie. Ainsi se constituera une religion mixte qui impliquera une orientation nouvelle de l’ancienne, une aspiration plus ou moins prononcée du dieu antique, issu de la fonction fabulatrice, à se perdre dans celui qui se révèle effectivement, qui illumine et réchauffe de sa présence des âmes privilégiées. Ainsi s’intercalent, comme nous le disions, des transitions et des différences apparentes de degré entre deux choses qui diffèrent radicalement de nature et qui ne sembleraient pas, d’abord, devoir s’appeler de la même manière. Le contraste est frappant dans bien des cas, par exemple quand des nations en guerre affirment l’une et l’autre avoir pour elles un dieu qui se trouve ainsi être le dieu national du paganisme, alors que le Dieu dont elles s’imaginent parler est un Dieu commun à tous les hommes, dont la seule vision par tous serait l’abolition immédiate de la guerre. Et pourtant il ne faudrait pas tirer parti de ce contraste pour déprécier des religions qui, nées du mysticisme, ont généralisé l’usage de ses formules sans pouvoir pénétrer l’humanité entière de la totalité de son esprit. Il arrive à des formules presque vides de faire surgir ici ou là, véritables paroles magiques, l’esprit capable de les remplir. Un professeur