Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/244

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Il n’est pas douteux, en effet, que l’enthousiasme dionysiaque se soit prolongé dans l’orphisme, et que l’orphisme se soit prolongé en pythagorisme : or c’est à celui-ci, peut-être même à celui-là, que remonte l’inspiration première du platonisme. On sait dans quelle atmosphère de mystère, au sens orphique du mot, baignent les mythes platoniciens, et comment la théorie des Idées elle-même inclina par une sympathie secrète vers la théorie pythagoricienne des nombres. Sans doute aucune influence de ce genre n’est sensible chez Aristote et ses successeurs immédiats ; mais la philosophie de Plotin, à laquelle ce développement aboutit, et qui doit autant à Aristote qu’à Platon, est incontestablement mystique. Si elle a subi l’action de la pensée orientale, très vivante dans le monde alexandrin, ce fut à l’insu de Plotin lui-même, qui a cru ne faire autre chose que condenser toute la philosophie grecque, pour l’opposer précisément aux doctrines étrangères. Ainsi, en résumé, il y eut à l’origine une pénétration de l’orphisme, et, à la fin, un épanouissement de la dialectique en mystique. De là on pourrait conclure que c’est une force extra-rationnelle qui suscita ce développement rationnel et qui le conduisit à son terme, au delà de la raison. C’est ainsi que les phénomènes lents et réguliers de sédimentation, seuls apparents, sont conditionnés par d’invisibles forces éruptives qui, en soulevant à certains moments l’écorce terrestre, impriment sa direction à l’activité sédimentaire. Mais une autre interprétation est possible ; et elle serait, à notre sens, plus vraisemblable. On peut supposer que le développement de la pensée grecque fut l’œuvre de la seule raison, et qu’à côté de lui, indépendamment de lui, se produisit de loin en loin chez quelques âmes prédisposées un effort pour aller chercher, par delà l’intelligence,