Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/265

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que s’il prend la suite de l’ancien. Or l’ancien était d’une part ce que les philosophes grecs avaient construit, et d’autre part ce que les religions antiques avaient imaginé. Que le christianisme ait beaucoup reçu, ou plutôt beaucoup tiré, des uns et des autres, cela n’est pas douteux. Il est chargé de philosophie grecque, et il a conservé bien des rites, des cérémonies, des croyances même de la religion que nous appelions statique ou naturelle. C’était son intérêt, car son adoption partielle du néo-platonisme aristotélicien lui permettait de rallier à lui la pensée philosophique, et ses emprunts aux anciennes religions devaient aider une religion nouvelle, de direction opposée, n’ayant guère de commun avec celles d’autrefois que le nom, à devenir populaire. Mais rien de tout cela n’était essentiel : l’essence de la nouvelle religion devait être la diffusion du mysticisme. Il y a une vulgarisation noble, qui respecte les contours de la vérité scientifique, et qui permet à des esprits simplement cultivés de se la représenter en gros jusqu’au jour où un effort supérieur leur en découvrira le détail et surtout leur en fera pénétrer profondément la signification. Du même genre nous paraît être la propagation de la mysticité par la religion. En ce sens, la religion est au mysticisme ce que la vulgarisation est à la science.

Ce que le mystique trouve devant lui est donc une humanité qui a été préparée à l’entendre par d’autres mystiques, invisibles et présents dans la religion qui s’enseigne. De cette religion son mysticisme même est d’ailleurs imprégné, puisqu’il a commencé par elle. Sa théologie sera généralement conforme à celle des théologiens. Son intelligence et son imagination utiliseront, pour exprimer en mots ce qu’il éprouve et en images matérielles