Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

choses de ce biais, et nous ne dirons même plus de notre corps qu’il soit perdu dans l’immensité de l’univers.

Il est vrai que lorsqu’on parle de la petitesse de l’homme et de la grandeur de l’univers, c’est à la complication de celui-ci qu’on pense au moins autant qu’à sa dimension. Une personne fait l’effet d’être simple ; le monde matériel est d’une complexité qui défie toute imagination : la plus petite parcelle visible de matière est déjà elle-même un monde. Comment admettre que ceci n’ait d’autre raison d’être que cela ? Mais ne nous laissons pas intimider. Quand nous nous trouvons devant des parties dont l’énumération se poursuit sans fin, ce peut être que le tout est simple, et que nous le regardons par le mauvais bout. Portez la main d’un point à un autre : c’est pour vous, qui le percevez du dedans, un geste indivisible. Mais moi, qui l’aperçois du dehors, et qui fixe mon attention sur la ligne parcourue, je me dis qu’il a d’abord fallu franchir la première moitié de l’intervalle, puis la moitié de l’autre moitié, puis la moitié de ce qui reste, et ainsi de suite : je pourrais continuer pendant des milliards de siècles, jamais je n’aurai épuisé l’énumération des actes en lesquels se décompose à mes yeux le mouvement que vous sentez indivisible. Ainsi le geste qui suscite l’espèce humaine, ou plus généralement des objets d’amour pour le Créateur, pourrait fort bien exiger des conditions qui en exigent d’autres, lesquelles, de proche en proche, en entraînent une infinité. Impossible de penser à cette multiplicité sans être pris de vertige ; mais elle n’est que l’envers d’un indivisible. Il est vrai que les actes infiniment nombreux en lesquels nous décomposons un geste de la main sont purement virtuels, déterminés nécessairement dans leur virtualité par l’actualité du geste, tandis