Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Maintenant, la distinction entre le clos et l’ouvert, nécessaire pour résoudre ou supprimer les problèmes théoriques, peut-elle nous servir pratiquement ? Elle serait sans grande utilité, si la société close s’était toujours constituée en se refermant après s’être momentanément ouverte. On aurait beau remonter alors indéfiniment dans le passé, on n’arriverait jamais au primitif ; le naturel ne serait qu’une consolidation de l’acquis. Mais, nous venons de le dire, la vérité est tout autre. Il y a une nature fondamentale, et il y a des acquisitions qui, se superposant à la nature, l’imitent sans se confondre avec elle. De proche en proche, on se transporterait à une société close originelle, dont le plan général adhérait au dessin de notre espèce comme la fourmilière à la fourmi, avec cette différence toutefois que dans le second cas c’est le détail de l’organisation sociale qui est donné par avance, tandis que dans l’autre il y a seulement les grandes lignes, quelques directions, juste assez de préfiguration naturelle pour assurer tout de suite aux individus un milieu social approprié. La connaissance de ce plan n’offrirait sans doute aujourd’hui qu’un intérêt historique si les dispositions en avaient été éliminées par d’autres. Mais la nature est indestructible. On a eu tort de dire « Chassez le naturel, il revient au galop », car le naturel ne se laisse pas chasser. Il est toujours là. Nous savons ce qu’il faut penser de la transmissibilité des caractères acquis. Il est peu probable qu’une habitude se transmette jamais : si le fait se produit, il tient à la rencontre accidentelle d’un si grand nombre de conditions favorables qu’il ne se répétera sûrement pas assez pour implanter l’habitude dans l’espèce. C’est dans les mœurs, dans les institutions, dans le langage même que se déposent les acquisitions morales ; elles se communiquent ensuite par une éducation