Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/308

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sociétés à s’unir pour parer au danger commun. Il est vrai que ces unions sont rarement durables. Elles aboutissent en tout cas à un assemblage de sociétés qui est du même ordre de grandeur que chacune d’elles. C’est plutôt dans un autre sens que la guerre est à l’origine des empires. Ils sont nés de la conquête. Même si la guerre ne visait pas la conquête d’abord, c’est à une conquête qu’elle aboutit, tant le vainqueur juge commode de s’approprier les terres du vaincu, et même les populations, pour tirer profit de leur travail. Ainsi se formèrent jadis les grands empires asiatiques. Tous tombèrent en décomposition, sous des influences diverses, en réalité parce qu’ils étaient trop grands pour vivre. Quand le vainqueur concède aux populations subjuguées une apparence d’indépendance, l’assemblage dure plus longtemps : témoin l’empire romain. Mais que l’instinct primitif subsiste, qu’il exerce une action disruptive, cela n’est pas douteux. On n’a qu’à le laisser faire, et la construction politique s’écroule. C’est ainsi que la féodalité surgit dans des pays différents, à la suite d’événements différents, dans des conditions différentes ; il n’y eut de commun que la suppression de la force qui empêchait la société de se disloquer ; la dislocation se fit alors d’elle-même. Si de grandes nations ont pu se constituer solidement dans les temps modernes, c’est parce que la contrainte, force de cohésion s’exerçant du dehors et d’en haut sur l’ensemble, a cédé peu à peu la place à un principe d’union qui monte du fond de chacune des sociétés élémentaires assemblées, c’est-à-dire de la région même des forces disruptives auxquelles il s’agit d’opposer une résistance ininterrompue. Ce principe, seul capable de neutraliser la tendance à la désagrégation, est le patriotisme. Les anciens l’ont bien connu ; ils adoraient