Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/31

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sociétés à l’extrémité de l’une et de l’autre. Le type de société qui paraîtra le plus naturel sera évidemment le type instinctif : le lien qui unit entre elles les abeilles de la ruche ressemble beaucoup plus à celui qui retient ensemble, coordonnées et subordonnées les unes aux autres, les cellules d’un organisme. Supposons un instant que la nature ait voulu, à l’extrémité de l’autre ligne, obtenir des sociétés où une certaine latitude fût laissée au choix individuel : elle aura fait que l’intelligence obtînt ici des résultats comparables, quant à leur régularité, à ceux de l’instinct dans l’autre ; elle aura eu recours à l’habitude. Chacune de ces habitudes, qu’on pourra appeler « morales », sera contingente. Mais leur ensemble, je veux dire l’habitude de contracter ces habitudes, étant à la base même des sociétés et conditionnant leur existence, aura une force comparable à celle de l’instinct, et comme intensité et comme régularité. C’est là précisément ce que nous avons appelé « le tout de l’obligation ». Il ne s’agira d’ailleurs que des sociétés humaines telles qu’elles sont au sortir des mains de la nature. Il s’agira de sociétés primitives et élémentaires. Mais la société humaine aura beau progresser, se compliquer et se spiritualiser : le statut de sa fondation demeurera, ou plutôt l’intention de la nature.

Or, c’est bien ainsi que les choses se sont passées. Sans approfondir un point dont nous nous sommes occupé ailleurs, disons simplement qu’intelligence et instinct sont des formes de conscience qui ont dû s’entrepénétrer à l’état rudimentaire et se dissocier en grandissant. Ce développement s’est effectué sur les deux grandes lignes d’évolution de la vie animale, avec les Arthropodes et les Vertébrés. Au bout de la première est l’instinct des Insectes, plus particulièrement des Hyménoptères ; au