Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/75

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vient le respect qu’il inspire ? Laissons de côté l’analyse du respect, où nous trouverions surtout un besoin de s’effacer, l’attitude de l’apprenti devant le maître ou plutôt, pour parler le langage aristotélicien, de l’accident devant l’essence. Resterait alors à définir le moi supérieur devant lequel la personnalité moyenne s’incline. Il n’est pas douteux que ce soit d’abord le « moi social », intérieur à chacun, dont nous avons déjà dit un mot. Si l’on admet, ne fût-ce que théoriquement, une « mentalité primitive », on y verra le respect de soi coïncider avec le sentiment d’une telle solidarité entre l’individu et le groupe que le groupe reste présent à l’individu isolé, le surveille, l’encourage ou le menace, exige enfin d’être consulté et obéi : derrière la société elle-même il y a des puissances surnaturelles, dont le groupe dépend, et qui rendent la société responsable des actes de l’individu ; la pression du moi social s’exerce avec toutes ces énergies accumulées. L’individu n’obéit d’ailleurs pas seulement par habitude de la discipline ou par crainte du châtiment : le groupe auquel il appartient se met nécessairement au-dessus des autres, ne fût-ce que pour exalter son courage dans la bataille, et la conscience de cette supériorité de force lui assure à lui-même une force plus grande, avec toutes les jouissances de l’orgueil. On s’en convaincra en considérant une mentalité déjà plus « évoluée ». Qu’on songe à ce qu’il entrait de fierté, en même temps que d’énergie morale dans le « Civis sum romanus » : le respect de soi, chez un citoyen romain, devait se confondre avec ce que nous appellerions aujourd’hui son nationalisme. Mais point n’est besoin d’un recours à l’histoire ou à la préhistoire pour voir le respect de soi coïncider avec l’amour-propre du groupe. Il suffit d’observer ce qui se passe sous nos yeux dans les petites