Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/26

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exercer une influence mal déterminée sur la démarche finale. Je passe mes diverses affections en revue : il me semble que chacune d’elles contient à sa manière une invitation à agir, avec, en même temps, l’autorisation d’attendre et même de ne rien faire. Je regarde de plus près : je découvre des mouvements commencés, mais non pas exécutés, l’indication d’une décision plus ou moins utile, mais non pas la contrainte qui exclut le choix. J’évoque, je compare mes souvenirs : je me rappelle que partout, dans le monde organisé, j’ai cru voir cette même sensibilité apparaître au moment précis où la nature, ayant conféré à l’être vivant la faculté de se mouvoir dans l’espace, signale à l’espèce, par la sensation, les dangers généraux qui la menacent, et s’en remet aux individus des précautions à prendre pour y échapper. J’interroge enfin ma conscience sur le rôle qu’elle s’attribue dans l’affection : elle répond qu’elle assiste en effet, sous forme de sentiment ou de sensation, à toutes les démarches dont je crois prendre l’initiative, qu’elle s’éclipse et disparaît au contraire dès que mon activité, devenant automatique, déclare ainsi n’avoir plus besoin d’elle. Ou bien donc toutes les apparences sont trompeuses, ou l’acte auquel l’état affectif aboutit n’est pas de ceux qui pourraient rigoureusement se déduire des phéno­mènes antérieurs comme un mouvement d’un mouvement, et dès lors il ajoute véritablement quelque chose de nouveau à l’univers et à son histoire. Tenons-nous en aux apparences ; je vais formuler purement et simplement ce que je sens et ce que je vois : Tout se passe comme si, dans cet ensemble d’images que j’appelle l’univers, rien ne se pouvait produire de réellement nouveau que par l’intermédiaire de certaines images particulières, dont le type m’est fourni par mon corps.