Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/277

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bien réglés et exactement mesurés les uns sur les autres, des images qui se succèdent autour de mon corps : les mouve­ments cérébraux, que je retrouve ainsi, vont redevenir le duplicat de mes perceptions. Il est vrai que ces mouvements seront des perceptions encore, des perceptions « possibles », de sorte que cette seconde hypothèse est plus intelli­gible que l’autre ; mais en revanche elle devra supposer à son tour une inex­plicable correspondance entre ma perception réelle des choses et ma percep­tion possible de certains mouvements cérébraux qui ne ressemblent à ces choses en aucune manière. Qu’on y regarde de près : on verra que l’écueil de tout idéalisme est là ; il est dans ce passage de l’ordre qui nous apparaît dans la perception à l’ordre qui nous réussit dans la science, — ou, s’il s’agit plus particulièrement de l’idéalisme kantien, dans le passage de la sensibilité à l’entendement. — Resterait alors le dualisme vulgaire. Je vais mettre d’un côté la matière, de l’autre l’esprit, et supposer que les mouvements cérébraux sont la cause ou l’occasion de ma représentation des objets. Mais s’ils en sont la cause, s’ils suffisent à la produire, je vais retomber, de degré en degré, sur l’hypothèse matérialiste de la conscience-épiphénomène. S’ils n’en sont que l’occasion, c’est qu’ils n’y ressemblent en aucune manière ; et dépouillant alors la matière de toutes les qualités que je lui ai conférées dans ma représentation, c’est à l’idéalisme que je vais revenir. Idéalisme et matérialisme sont donc les deux pôles entre lesquels ce genre de dualisme oscillera toujours ; et lorsque, pour maintenir la dualité des substances, il se décidera à les mettre l’une et l’autre sur le même rang, il sera amené à voir en elles deux traductions d’un même original, deux développements parallèles, réglés à l’avance,