Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/50

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point recueille et transmet les actions de tous les points du monde matériel, tandis que notre conscience n’en atteint que certaines parties par certains côtés. La conscience — dans le cas de la perception extérieure — consiste précisément dans ce choix. Mais il y a, dans cette pauvreté nécessaire de notre perception consciente, quelque chose de positif et qui annonce déjà l’esprit : c’est, au sens étymologique du mot, le discernement.

Toute la difficulté du problème qui nous occupe vient de ce qu’on se représente la perception comme une vue photographique des choses, qui se prendrait d’un point déterminé avec un appareil spécial, tel que l’organe de perception, et qui se développerait ensuite dans la substance cérébrale par je ne sais quel processus d’élaboration chimique et psychique. Mais comment ne pas voir que la photographie, si photographie il y a, est déjà prise, déjà tirée, dans l’intérieur même des choses et pour tous les points de l’espace ? Aucune métaphysique, aucune physique même ne peut se dérober à cette conclusion. Composez l’univers avec des atomes : dans chacun d’eux se font sentir, en qualité et en quantité, variables selon la distance, les actions exercées par tous les atomes de la matière. Avec des centres de force ? les lignes de force émises dans tous les sens par tous les centres dirigent sur chaque centre les influences du monde matériel tout entier. Avec des monades enfin ? chaque monade, comme le voulait Leibniz, est le miroir de l’univers. Tout le monde est donc d’accord sur ce point. Seulement, si l’on considère un lieu quelconque de l’univers, on peut dire que l’action de la matière entière y passe sans résistance et sans déperdition, et que la photographie du tout y est translucide : il manque, derrière la plaque, un é