Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/69

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sentation de l’univers matériel est relative, subjective, et, pour ainsi dire, qu’elle est sortie de nous, au lieu que nous nous soyons d’abord dégagés d’elle.

Avant de critiquer cette interprétation contestable d’un fait exact, montrons qu’elle n’aboutit à expliquer, qu’elle ne réussit même à éclaircir, ni la nature de la douleur ni celle de la perception. Que des états affectifs essentiellement liés à ma personne, et qui s’évanouiraient si je disparaissais, arrivent, par le seul effet d’une diminution d’intensité, à acquérir l’extension, à prendre une place déterminée dans l’espace, à constituer une expérience stable, toujours d’accord avec elle-même et avec l’expérience des autres hommes, c’est ce qu’on arrivera difficilement à nous faire comprendre. Quoi qu’on fasse, on sera amené à rendre aux sensations, sous une forme ou sous une autre, d’abord l’extension, puis l’indépendance dont on voulait se passer. Mais, d’autre part, l’affection ne sera guère plus claire, dans cette hypothèse, que la représentation. Car si l’on ne voit pas comment des affections, en diminuant d’intensité, deviennent des représentations, on ne comprend pas davantage comment le même phéno­mène, qui était donné d’abord comme perception, devient affection par un accroissement d’intensité. Il y a dans la douleur quelque chose de positif et d’actif, qu’on explique mal en disant, avec certains philosophes, qu’elle con­siste dans une représentation confuse. Mais là n’est pas encore la difficulté principale. Que l’augmentation graduelle de l’excitant finisse par transformer la perception en douleur, c’est incontestable ; il n’en est pas moins vrai que la transformation se dessine à partir d’un moment précis : pourquoi ce moment plutôt qu’un autre ? et quelle est la raison spéciale qui fait qu’un phénomène dont je