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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

59. D’après l’expérience que nous avons acquise de l’enchaînement et de la succession des idées dans nos esprits, nous faisons souvent, je ne dirai pas des conjectures incertaines, mais des prédictions très sûres et bien fondées concernant les idées dont nous viendrons à être affectés en conséquence d’une suite d’actions très prolongée. Nous sommes ainsi capables de porter un jugement exact sur ce qui nous apparaîtrait en supposant que nous fussions placés dans des circonstances très différentes de celles dans lesquelles nous nous trouvons actuellement. C’est en cela que consiste la connaissance de la nature ; et l’usage que nous en faisons demeure, ainsi que sa certitude, en parfait accord avec ce qui a été dit. On étendra sans peine cette explication à tout ce qui pourra se présenter d’objections du même genre, et qui se tireraient, par exemple, de la grandeur des étoiles, ou autres découvertes dans l’astronomie et dans la nature.

60. Dixièmement, on demandera à quoi servent la curieuse organisation des plantes, et le mécanisme vital dans les parties des animaux ; les végétaux ne pourraient-ils croître et produire leurs feuilles et leurs fleurs, les animaux accomplir tous leurs mouvements, sans toute cette variété des parties internes si ingénieusement imaginées et composées ? Puisque ce sont là des idées, et qu’il n’y a rien en elles qui soit doué de pouvoir et capable d’opérer, elles n’ont pas non plus de connexion nécessaire avec les effets qu’on leur rapporte. S’il existe un Esprit qui produit chaque effet immédiatement par un fiat ou acte de sa volonté, nous devons regarder tout ce qu’il y a de délicat, tout ce qui est œuvre d’art dans les œuvres, soit de l’homme, soit de la nature, comme fait en vain. Suivant cette doctrine, encore bien qu’un ouvrier ait construit le ressort, les roues, tout le mouvement d’une montre, et qu’il ait ajusté les pièces ensemble de la manière qu’il sait propre à produire les mouvements voulus, il doit penser que tout ce travail est sans objet, et qu’il y a une Intelligence qui dirige l’aiguille et lui fait marquer l’heure. Si c’est ainsi, pourquoi l’Intelligence n’exécute-t-elle pas la chose sans qu’il ait à se donner la peine de composer et d’ajuster le mécanisme ? Pourquoi une boîte vide ne ferait-elle pas l’affaire aussi bien qu’une autre ? Et d’où vient que, s’il se rencontre un défaut dans la marche de la montre, il