Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/115

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proverbe « les absents ont tort », m’a paru complétement faux.

Malgré tous mes efforts pour détourner la conversation de pareils sujets, on s’obstine à me parler art, musique, haute poésie ; et Dieu sait comme on en parle en province !… des idées si étranges, des jugements faits pour déconcerter un artiste et lui figer le sang dans les veines, et par-dessus tout le plus horrible sang-froid. On dirait, à les entendre causer de Byron, de Gœthe, de Beethoven, qu’il s’agit de quelque tailleur ou bottier, dont le talent s’écarte un peu de la ligne ordinaire ; rien n’est assez bon pour eux ; jamais de respect ni d’enthousiasme ; ces gens-là feraient volontiers de feuilles de rose la litière de leurs chevaux. De sorte que, vivant au milieu du monde, je demeure dans le plus profond et le plus cruel isolement. Puis j’étouffe par défaut de musique ; je n’ai plus à espérer le soir le piano de mademoiselle Louise, ni les sublimes adagios qu’elle avait la bonté de me jouer, sans que mon obstination à les lui faire répéter pût altérer sa patience ou nuire à l’expression de son jeu. Je vous vois rire, madame ; vous dites, sans doute, que je ne sais ni ce que je veux ni où je voudrais être, que je suis à demi fou. À cela je vous répondrai que je sais parfaitement bien ce que je veux, mais que, pour ma mezza pazzia, comme on s’accorde assez généralement à m’en gratifier et que dans beaucoup de circonstances il y a un grand avantage à passer pour fou, j’en prends facilement mon parti. Mon père avait imaginé ces jours-ci un singulier moyen de me rendre sage. Il voulait me marier. Présumant, à tort ou à raison, sur des données à lui connues, que ma recherche serait bien