Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/173

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Si jamais j’ai assez d’argent pour DONNER des concerts à mes amis de Paris, je le ferai ; mais ne me croyez plus assez simple pour compter sur le public pour en faire les frais. Je ne ferai pas de nouveaux appels à son attention pour ne recueillir que l’indifférence, et perdre l’argent que je gagne avec tant de peines dans mes voyages. Ce sera un grand chagrin pour moi, car les sympathies de mes amis de France me sont toujours les plus chères. Mais l’évidence est là : comparaison faite des impressions que ma musique a produites sur tous les publics de l’Europe qui l’ont entendue, je suis forcé de conclure que c’est le public de Paris qui la comprend le moins. Ai-je jamais vu à Paris, dans mes concerts, des gens du monde, hommes et femmes, émus comme j’en ai vu en Allemagne et en Russie ? Ai-je vu des princes du sang s’intéresser à mes compositions au point de se lever à huit heures du matin, pour venir, dans une salle froide et obscure, les entendre répéter, comme faisait à Berlin la princesse de Prusse ? Ai-je jamais été invité à prendre la moindre part aux concerts de la cour ? La société du Conservatoire, ou du moins ceux qui la dirigent, ne me sont-ils pas hostiles ? N’est-il pas grotesque qu’on joue dans ces concerts les œuvres de tout ce qui a un nom quelconque en musique, excepté les miennes ?… N’est-il pas blessant pour moi de voir l’Opéra avoir toujours recours à des ravaudeurs musicaux, et ses directeurs toujours armés contre moi de préventions que je rougirais d’avoir à combattre, si la main leur était forcée ? La presse ne devient-elle pas ignoble de jour en jour ? y voyons-nous autre chose maintenant (à de rares exceptions près) que de l’intrigue, de basses transactions et du crétinisme ?