Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/235

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vous m’apprenez ne m’étonne, si ce n’est le nombre des répétitions qu’on vous fait faire pour monter un grand opéra[1]. Oui, franchement, je pensais que, dans le nouveau monde, pays de la Liberté, qui connaît le prix du temps, on avait entièrement aboli cette vieille coutume des répétitions, et qu’on ne répétait jamais. Mais je vois qu’on ne m’avait pas trompé : la Nouvelle-Orléans est antiabolitioniste ! et c’est vous autres qui êtes les nègres. Vous comptez même à ce qu’il paraît des nègres marrons, puisque votre première contrebasse s’est sauvée et qu’elle vit libre dans les bois, à l’heure qu’il est.

Vous ne me dites rien de vos projets commerciaux ; vous aviez emporté un tas de petites bouteilles, qui m’avaient fait espérer que vous opéreriez là-bas la transmutation des vils métaux en or. Mais je pense que vos bouteilles ne vous auront pas donné de l’eau à boire.

Je viens de Weimar et de Gotha, où l’on m’a comblé, archi-comblé de tout ce qui en Europe constitue le succès.

Au dernier concert de Weimar, j’avais un programme monstre (L’Enfance du Christ, — la Symphonie fantastique, — le Retour à la vie). Ce dernier ouvrage que vous ne connaissez pas et dont j’ai fait aussi les paroles et la musique, est un monodrame lyrique. L’acteur unique qui joue le rôle de l’artiste, le joue sur l’avant-scène agrandie. — La toile est baissée et derrière la toile s’élève un amphithéâtre d’où l’orchestre, les chefs et les chanteurs se font entendre invisibles. Les morceaux de musique sont des mélodies et des harmonies imaginaires, que l’artiste entend en pensée

  1. M. Tajan-Rogé habitait alors la Nouvelle-Orléans.