Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/25

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Les deux jeunes gens assistèrent ensemble aux leçons d’Amussat, de Thénard, de Gay-Lussac, d’Andrieux ; comme Andrieux parlait littérature, Hector s’attacha surtout à ce professeur et conçut le projet de lui demander un livret d’opéra. L’auteur des Étourdis avait alors soixante-quatre ans : « Cher monsieur, répondit-il, je ne vais plus au spectacle ; il me conviendrait mal, à mon âge, de vouloir faire des vers d’amour, et, en fait de musique, je ne dois plus guère songer qu’à la messe de Requiem. » Andrieux, sa lettre écrite, prit le parti de la porter au domicile de son correspondant inconnu. Il monte plusieurs étages, s’arrête devant une petite porte, à travers les fentes de laquelle s’échappe un parfum d’oignons brûlés ; il frappe ; un jeune homme vient lui ouvrir, maigre, anguleux, les cheveux roux et ébouriffés ; c’était Berlioz, en train de préparer une gibelotte pour son repas d’étudiant, et tenant à la main une casserole :

— Ah ! monsieur Andrieux, quel honneur pour moi !… Vous me surprenez dans une occupation… Si j’avais su !

— Allons donc, ne vous excusez pas. Votre gibelotte doit être excellente et je l’aurais bien partagée avec vous ; mais mon estomac ne va plus. Continuez, mon ami, ne laissez pas brûler votre dîner parce que vous recevez chez vous un académicien qui a fait des fables.

Andrieux s’assoit ; on commence à causer de bien des choses, de musique surtout. À cette époque, Berlioz était déjà un glückiste féroce et intolérant :

— Hé ! hé ! dit le vieux professeur en hochant la tête, j’aime Gluck, savez-vous ? je l’aime à la folie.

— Vous aimez Gluck, monsieur ? s’écria Hector en s’élançant vers son visiteur comme pour l’embrasser. Dans ce mouvement, il brandissait sa casserole aux dépens de ce qu’elle contenait.