Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/269

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Vous me demandez ce que je fais. J’achève les Troyens. Depuis quinze jours, il m’a été impossible d’y travailler. J’en suis à la catastrophe finale ; Énée est parti, Didon l’ignore encore, elle va l’apprendre, elle pressent le départ…

Quis fallere possit amantem ?

Ces angoisses de cœur à exprimer, ces cris de douleur à noter, m’épouvantent… comment vais-je m’en tirer ? Je suis surtout inquiet sur l’accentuation de ce passage dit par Anna et Narbal au milieu de la cérémonie religieuse de prêtres de Pluton :

S’il faut enfin qu’Énée aborde en Italie,
Qu’il y trouve un obscur trépas !
Que le peuple latin à l’Ombrien s’allie,
Pour arrêter ses pas !
Percé d’un trait vulgaire en la mêlée ardente,
Qu’il reste abandonné sur l’arène sanglante
Pour servir de pâture aux dévorants oiseaux ! >
Entendez-vous, Hécate, Érèbe, et toi, Chaos ?

Est-ce une imprécation violente ? est-ce de la fureur concentrée, sourde ?… Si cette pauvre Rachel n’était pas morte, je serais allé le lui demander. Vous pensez, sans doute, que j’ai bien de la bonté de me préoccuper ainsi de la vérité d’expression, et que ce sera toujours assez vrai pour le public. Oui, mais pour nous ?… Enfin, je trouverai peut-être.

Vous ne sauriez, mon cher Bulow, vous faire une idée juste du flux et du reflux de sentiments contraires dont j’ai le cœur agité depuis que je travaille à cet ouvrage. Tantôt c’est une passion, une joie, une tendresse dignes d’un artiste