Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/287

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CII.

AU MÊME.


Paris, 14 février 1861.

Cher ami,

Je te remercie de ta lettre que j’espérais chaque jour. Je te vois pourtant encore dans un état d’esprit qui me tourmente ; je ne sais pas quels rêves tu as caressés qui te rendent pénible ta position actuelle ; tout ce que je puis te dire, c’est qu’à ton âge j’étais fort loin d’être aussi bien traité du sort que tu l’es.

Bien plus ; je n’avais pas espéré quand tu as été reçu capitaine que tu aurais un emploi même modeste si promptement. Ton impatience de parvenir est toute naturelle, mais exagérée. Il faut te le dire et te le redire. Un an quelquefois amène plus de changements imprévus dans la vie d’un homme que dix ans d’efforts fiévreux.

Que puis-je te dire pour te faire prendre patience ? tu te tourmentes pour des niaiseries, et tu as une matrimoniomanie qui me ferait rire, si ce n’était pas triste de te voir aspirer avec tant d’âpreté à la chaîne la plus lourde qui se puisse porter, et aux embarras et aux dégoûts du ménage, qui sont bien ce que je connais de plus désespérant et aussi de plus exaspérant. Tu as, à vingt-six ans, 1,800 francs d’appointements et la perspective d’un avancement peut-être rapide. Moi, quand j’ai épousé ta mère, j’avais trente ans, je ne possédais que 300 francs, que mon ami Gounet m’avait