Page:Berlioz - Traité d’instrumentation et d’orchestration.djvu/318

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Ils ont non seulement à battre la mesure, comme la tige métronomique, mais de plus à parler aux groupes qui les avoisinent pour appeler leur attention sur les nuances et, après les silences, les avertir du moment de leur rentrée.

Dans un local disposé en amphithéâtre demi-circulaire, le chef d’orchestre peut conduire tout seul un nombre considérable d’exécutants, tous les yeux pouvant alors sans peine se porter sur lui. Néanmoins l’emploi d’un certain nombre de sous-chefs me paraît préférable à l’unité de la direction individuelle, à cause de la grande distance où se trouvent du chef les points extrêmes de la masse vocale et instrumentale. Plus le chef d’orchestre s’éloigne des musiciens qu’il dirige, plus son action sur eux s’affaiblit. Ce qu’il y aurait de mieux serait d’avoir plusieurs sous-chefs, avec plusieurs métronomes électriques, battant devant leurs yeux les grands temps de la mesure.

Maintenant doit il conduire debout ou assis ? Si dans les théâtres, où l’on exécute des partitions d’une durée énorme, il est bien difficile de résister à la fatigue en restant debout toute la soirée, il n’en est pas moins vrai que le chef d’orchestre assis perd une partie de sa puissance et ne peut donner libre carrière à sa verve, s’il en a. Dirigera-t-il en lisant sur une grande partition ou sur un premier violon conducteur, comme cela se pratique dans quelques théâtres ? Il aura sous les yeux une grande partition, évidemment. Conduire à l’aide d’une partie contenant seulement les principales rentrées instrumentales, la Basse ou la mélodie, impose inutilement un travail de mémoire au chef qui n’a pas devant lui la partition complète, et l’expose en outre, s’il s’avise de dire qu’il se trompe à l’un des musiciens dont il ne peut contrôler la partie, à ce que celui-ci lui réponde : « Qu’en savez vous ? »

La disposition et le groupement des musiciens et des choristes rentrent encore dans les attributions du chef d’orchestre, surtout pour les concerts. Il est impossible d’indiquer d’une façon absolue le meilleur groupement du personnel des exécutants dans un théâtre et dans une salle de concerts ; la forme et l’arrangement de l’intérieur des salles influant nécessairement sur les déterminations à prendre en pareil cas. Ajoutons, qu’elles dépendent en outre du nombre des exécutants qu’il s’agit de grouper, et dans quelques occasions du mode de composition adopté par l’auteur de l’œuvre qu’on exécute. En général pour les concerts un amphithéâtre de huit, ou au moins de cinq gradins est indispensable.

La forme demi-circulaire est la meilleure pour cet amphithéâtre. S’il est assez large pour contenir tout l’orchestre, la masse entière des instrumentistes sera disposée sur les gradins ; les 1ers violons sur le devant à droite, les 2ds violons sur le devant à gauche, les altos dans le milieu entre les deux groupes de violons, les flûtes, hautbois, clarinettes, cors et bassons derrière les premiers violons, un double rang de violoncelles et de contrebasses derrière les 2ds violons ; les trompettes, cornets, trombones et tubas derrière les altos, le reste des violoncelles et contrebasses derrière les instruments à vent en bois, les harpes sur l’avant scène tout près du chef d’orchestre, les timbales et les autres instruments à percussion derrière les instruments de cuivre ; le chef d’orchestre tournant le dos au public, tout en bas de l’amphithéâtre et près des premiers pupitres des premiers et des seconds violons.

Il devra y avoir un plancher horizontal, une scène plus ou moins large, s’étendant au devant du premier gradin de l’amphithéâtre. Sur ce plancher les choristes seront placés en éventail, tournés de trois quarts vers le public et pouvant tous aisément voir les mouvements du chef d’orchestre. Le groupement des choristes par catégories de voix sera différent selon que l’auteur a écrit à trois, à quatre, ou à six parties. En tout cas les femmes, soprani et contralti, seront devant, assises ; les ténors debout derrière les contralti, les basses debout derrière les soprani.

Les chanteurs et virtuoses solistes occuperont le centre et la partie antérieure de l’avant-scène, et se placeront toujours de manière à pouvoir, en tournant un peu la tête, voir le bâton conducteur.

Au reste, je le répète, ces indications ne sont qu’approximatives ; elles peuvent être par beaucoup de raisons modifiées de diverses manières.

Au Conservatoire de Paris, où l’amphithéâtre ne se compose que de quatre ou cinq gradins non circulaires, et ne peut en conséquence contenir tout l’orchestre, les violons et les altos sont sur la scène, les basses et les instruments à vent occupent seuls les gradins ; le chœur est assis sur l’avant scène regardant en face le public, et le groupe entier des femmes soprani et contralti, tournant directement le dos au chef d’orchestre, est dans l’impossibilité de jamais voir ses mouvements. Un tel arrangement est très incommode pour cette partie du chœur.

Il est partout de la plus haute importance que les choristes placés sur l’avant scène occupent un plan un peu inférieur à celui des violons, sans quoi ils en affaibliront énormément la sonorité. Par la même raison, si, au devant de l’orchestre, il n’y a pas d’autres gradins pour le chœur, il faut absolument que les femmes soient assises et que les hommes restent debout afin que les voix des ténors et des basses partant d’un point plus élevé que celles des soprani et contralti puisse s’émettre librement et ne soient ni étouffées ni interceptées.

Quand la présence des choristes devant l’orchestre n’est pas nécessaire, le chef aura soin de les faire sortir, cette multitude de corps humains nuisant à la sonorité des instruments. Une symphonie exécutée par un orchestre ainsi plus ou moins étouffé a beaucoup à souffrir.

Il est encore des précautions relatives à l’orchestre seulement, que le chef peut prendre pour éviter certains défauts dans l’exécution.

Les instruments à percussion placés, ainsi que je l’ai indiqué, sur l’un des derniers gradins de l’amphithéâtre, ont une tendance à ralentir le rhythme, à retarder. Une série de coups de grosse caisse frappés à intervalles réguliers dans un mouvement vif, comme la suivante :


\language "italiano"
  \relative do {
  \set Staff.instrumentName =  \markup \fontsize #0 #"Allegro."
  \clef bass
  \key do \major
  \time 2/2
  do2 r2 | do2 r2 | do2 r2 | do2 r2 | do2 r2 | do2 r2 | do2 r2 \bar "||"
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}
\layout {
  #(layout-set-staff-size 13)
}


amène quelquefois la destruction complète d’une belle progression rhythmique, en brisant l’élan du reste de l’orchestre, et détruisant l’ensemble. Presque toujours le joueur de grosse caisse, faute de regarder le premier temps marqué par le chef, reste un peu en retard pour frapper son premier coup. Ce retard, multiplié par le nombre des coups qui succèdent au premier, amène bien vite, cela se conçoit, une discordance rhythmique du plus fâcheux effet.