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JOURNAL

(J’ai eu l’idée d’utiliser ce passage, en l’arrangeant un peu, pour mon instruction du dimanche. Le regard de la paroisse a fait sourire et je me suis arrêté une seconde au beau milieu de la phrase avec l’impression, très nette hélas ! de jouer la comédie. Dieu sait pourtant que j’étais sincère ! Mais il y a toujours dans les images qui ont trop ému notre cœur quelque chose de trouble. Je suis sûr que le doyen de Torcy m’eût blâmé. À la sortie de la messe, M. le comte m’a dit, de sa drôle de voix un peu nasale : « Vous avez eu une belle envolée ! » J’aurais voulu rentrer sous terre.)

♦♦♦ Mme Louise m’a transmis une invitation à déjeuner au château, mardi prochain. La présence de Mlle Chantal me gênait un peu, mais j’allais néanmoins répondre par un refus quand Mme Louise m’a fait discrètement signe d’accepter.

La femme de ménage reviendra mardi au presbytère. Mme la comtesse aura la bonté de la rembourser de sa journée une fois par semaine. J’étais si honteux de l’état de mon linge que j’ai couru ce matin jusqu’à Saint-Vaast pour y faire l’emplette de trois chemises, de caleçons, de mouchoirs, bref, les cent francs de M. le curé de Torcy ont à peine suffi à couvrir cette grosse dépense. De plus, je dois donner le repas de midi et une femme qui travaille a besoin d’une nourriture convenable. Heureusement mon bordeaux va me rendre service. Je l’ai mis en bouteilles