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L’IMPOSTURE

obscures dont il osait à peine supputer la puissance et le nombre, après s’être affrontées dans un chaos effrayant où il avait senti sombrer son âme, s’étaient non pas seulement apaisées, mais confondues, semblaient avoir contracté entre elles une monstrueuse alliance. Ainsi que la pauvre humanité dresse sa tente misérable entre des collines autrefois jaillies du sol dans un cataclysme inouï et gratte, pour manger, la pellicule refroidie d’un astre où mugit toujours l’abime souterrain, il s’était installé comme au centre même de ses propres contradictions. Il y vivait seul et sauvage, loin des hommes, loin de son redoutable passé devenu maintenant plus mystérieux, plus redoutable que l’avenir, ce passé auquel il avait échappé par miracle, et qu’il entendait encore gronder, au delà de son refuge, ainsi qu’une bête réclame sa proie. Et néanmoins la rupture semblait consommée.

De telles ruptures ne sont pas si rares, mais elles sont généralement le fait de circonstances particulières, imprévues, ’unde révolte des sens, ou de l’orgueil, ou de la raison, qui emporte d’un coup toute résistance, et laisse après elle une déception si douloureuse que la volonté en reste affaiblie à jamais, garde en secret, comme un principe de mort, le regret de cette part de soi-même arrachée. Alors le doute insidieux renaît plus tenace qu’avant, car il prospère dans le milieu le plus favorable, en pleine décomposition. Peu d’hommes, en une telle conjoncture, évitent le double piège d’une tendresse équivoque et nostalgique pour ce qu’ils ont renié, ou d’une haine stérile qui n’est qu’une autre forme de leurs remords, et les dégrade entièrement. Nul n’est dupe de leurs violences,