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L’IMPOSTURE

— Je vous plains de me croire capable, mon ami, d’une telle cruauté. J’ai eu tort de vous imposer par étourderie une fatigue inutile, et aussi de vous laisser jouer cette absurde comédie comme si j’en étais dupe ou complice.

— Dupe ou complice ! Dupe ou complice ! répéta docilement le pauvre diable, avec un sourire idiot… Vous allez chercher ! Dupe ou complice ! Si on peut dire !

— Fichez-moi la paix, hein ? cria l’abbé Cénabre hors de lui. Si vous continuez, je ne vous donne pas un sou, avez-vous compris ? Voilà trois grands quarts d’heure que j’essaie de tirer de vous une parole raisonnable, sincère, et vous ne m’avez raconté que des mensonges qui ne tromperaient pas un enfant, ou d’abjectes plaisanteries. Je sais ce que je désirais savoir. Il tira son portefeuille, y prit un billet de cent francs, le froissa du bout des doigts.

— J’ai pas de monnaie… dit le voyou, incorrigible.

Il fit le geste de rattraper sa plaisanterie au vol, comme une mouche. Mais quand il vit substituer au papier désirable une simple coupure de dix francs, il regarda le prêtre, fixement.

Ce n’était pourtant qu’un de ces regards de mendiant, après une longue attente, net de toute ruse, cynique. Le cœur de l’abbé Cénabre sauta néanmoins dans sa poitrine. Ce ne fut pas la peur, ce fut cela qui précède la peur, comparable à un coup de gong en pleine nuit.

— Vous n’aurez rien ! hurla-t-il. Je ne vous dois rien ! Et il lui tourna le dos, pour la seconde fois.