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Page:Bernard - Lettre sur la poésie, 1868.djvu/6

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Bravant les sots et les tempêtes,
Employons ce temps qui s’enfuit,
Et que le cœur donne ses fêtes
Dans quelque verdoyant réduit.
Nargue de tout prêcheur qui tance !
S’il lutte, qu’il ait le dessous ;
Pour un mois nous sommes absous,
Hurrah ! nous sommes en vacance !

Parmi les manuscrits de Mme Burguerie, figurent un grand nombre de contes en vers, le Pied, Fulgence, les Bains de la rue Basse, le Feu, la Jonchée ; des ballades empruntées aux chants populaires de la Bretagne (quelques unes sont d’une dimension considérable et forment de véritables poëmes) ; des satires, ou l’on remarque un singulier talent d’observation. À force de considérer le monde, Mme Burguerie l’avait trouvé peu satisfaisant. Tous les rêves de la jeunesse étaient partis ; la poésie des premiers jours n’avait plus la même fraîcheur, car les illusions sont femmes, et, comme les femmes, elles perdent leur beauté avec les années. Pour se consoler, Mme Burguerie défendait éloquemment la poésie dans son épître à M. Tardieu, l’aimable auteur des Roses de Noël et de Mignon :

Un matin que mon cœur était plein de tristesse
Et que mon front pâli penchait découragé,
J’allai de l’amitié chercher avec vitesse,
Ce regard par lequel tout nous semble allégé.
Je dis l’oppression dont j’ai l’âme saisie
En écoutant parler contre la poésie ;
La vanter dans la prose, et blâmer cependant
Le moule poétique, au reflet plus ardent !
Et ce mauvais vouloir, envieuse tendance,
Qui voudrait abolir le rhythme et la cadence ;
Qui, ne ressentant point de transports chaleureux,
Se moque des esprits rêveurs et généreux ;
Dresse partout l’obstacle où le poète échoue,
Et, sitôt abattu, lui jette de la boue.

Il fallait pourtant à l’intelligence pénétrante de Mme Burguerie une satire plus générale, plus accessible à la foule, qui se soucie fort peu qu’on attaque la poésie ou qu’on la défende. Elle se mit donc à écrire des satires dans lesquelles, sans jamais arriver à la caricature, elle outrait à dessein les vices et les ridicules des hommes. Les amis du poëte s’étonnèrent lorsque cette nouvelle face de son talent se révéla. On se demandait comment la jeune fille qui avait pleuré sur des peupliers abattus, comment la gracieuse personne dont la plume avait laissé échapper des poésies fugitives si ravissantes, savait conduire un pinceau imprégné de si mordantes couleurs et peindre l’humanité comme Sterne ou Swift. C’est dans la Dame Patronesse, que Mme Burguerie a déployé son talent d’observation. Rien de mieux réussi que le portrait de ces deux vieilles femmes, qui, grelottant dans leurs mantes fanées, oublient les morsures de la bise pour débiter leurs cancans. Nous ne reproduirons que la première partie de cette satire ; dans la seconde, Satan emporte aux enfers l’âme de la dame Patronesse, et la sinistre cavalcade, passant à travers les landes de Bretagne, jette des éclats de rire stridents, qui font frémir le paysan attardé.

Aux portes d’une église, un matin, vers midi,
Deux vieilles s’abordaient, l’air très-fort refroidi
À causer prêtait peu. L’on sortait de la messe,
Messe de Requiem — pour une patronesse
D’œuvres diverses, et, chacun comme toujours,
À ses impressions laissait prendre leur cours.
Nos vieilles, grelottant dans leurs mantes fanées,
À dire leur avis se montraient acharnées,
Comme femmes, sachant un tel sujet à fond.

— Ma chère, disait l’une avec un air profond,
En couchant son index près du nez sur la joue,
Ma chère, en vérité, ceci, je vous l’avoue,
M’est un fait bien connu ; la défunte vraiment,
La digne âme ! a laissé tout par son testament
À l’église, à l’hospice ; enfin en œuvres pies !

— Hé, hé, dit l’autre alors, nous voyons des harpies
Qui pensent racheter ainsi leurs vieux péchés ;
De ces gens, qui pour soi de tendresse touchés,
Croient qu’ils font à prix d’or l’existence future.
Ils n’ont jamais vu qu’eux dans toute la nature ;
Ils ont usé de tout, ils ont tout possédé,
Et s’ils eurent beaucoup, ils ont beaucoup gardé !
Léguer ainsi son bien me semble une manière
D’en disposer encor pour soi ; car la prière
Accordée en retour est bien près d’un marché…
— Oh ! oh ! quel vilain mot. — Tant pis, il est lâché !

— Vous êtes, Mame Hubert, dans une erreur profonde.
Seigneur ! voilà pourtant comme juge le monde !
Dieu béni, je le sais bien moi, rien n’est plus faux,
Dans ce cas-ci, toujours, mais mettre au même taux
Tout le monde aujourd’hui, c’est la grande manie.
Une telle femme est une femme bénie
De qui la voit agir. À l’église d’abord
Elle était assidue… et l’on se faisait fort
De compter sur sa main pour la bourse à la quête.
Pour la communion elle fut toujours prête
À vêtir des enfants dès qu’on le réclamait.
Qui plus promptement qu’elle incessamment formait
L’association de quelque loterie ?
Mettant les plus beaux lots ! jamais, je le parie,
Nul n’a dû se donner, pour placer les billets,
Autant de mouvement ; prenant ses affiquets,
Car pour aller partout il faut se faire belle,
Elle allait, elle allait !… L’esprit le plus rebelle
À la sainte vertu que prêcha le Sauveur
Ouvrait sa bourse alors, vaincu par sa ferveur.
Dieu ! que sa charité fournissait d’éloquence
À sa voix, près du riche ! et sans inconséquence
On ne pouvait près d’elle user de faux-fuyants ;
Les cœurs les plus rétifs devenaient bienveillants.
Ah ! ma chère ! c’était un plaisir de l’entendre !
Elle savait trouver un air si doux… si… tendre !
« Laissez-vous donc aller, — disait-elle, — une fois !
Pour un don au malheur, Dieu vous en fera trois ;
C’est d’un si bon exemple ! et votre moindre offrande
Mise en avant, parfois en attire une grande…
Vous n’avez pas d’argent ? donnez-nous quelque objet
Pour notre loterie ! et sans aucun projet
Certes ! de caresser la vanité suprême
Dont le cœur est fautif quelquefois pour qu’on aime
À suivre des bons cœurs l’exemple édifiant,
Sur l’objet qu’à nos soins chacun va confiant,
Nous attachons toujours le nom du donataire !
Les tièdes sont menés par cela… Sur la terre
Quand le but est si bon, il ne faut aux moyens
Pas beaucoup regarder… nous sommes des chrétiens
Mais de pauvres pécheurs, hélas ! et dans la lice
Où l’amour du bien guide, il est plus d’un supplice. »
Parlez vrai, Mame Hubert, à ces paroles-là,
Resteriez-vous donc raide, ainsi que vous voilà ?
— Hé, hé, Mame Martin, je suis raide et pour cause.
D’abord il fait très-froid ici, voilà la chose,
Et puis, d’une cousine à quelque loin degré
On m’a parlé, je crois ; et moi, bon gré mal gré,
Je ne puis trouver bien qu’on lèse sa famille.
— Laissez donc ! ce sont-là les propos dont fourmille
Un esprit incrédule ! une cousine ? après ?
Pour agir nous avons tous nos motifs secrets ;
Une cousine ! eh bien, voyez la belle affaire.
Elle peut travailler, comme chacun doit faire ;
Avec ça, qu’il est bon d’obliger un parent !
Babillages, ma chère, envie, au demeurant
On croit à ce qu’on voit. — Hé, hé, de l’apparence
Je sais qu’on se contente souvent ; l’ignorance
Profite aux deux côtés… mieux que plus de savoir.
Le dehors vous suffit ? Dans le fond j’aime à voir,
Et ne possède point la foi vaste et robuste
Qui croit à l’homme entier, où mon œil voit un buste
— Ma chère Mame Hubert, c’est un fort vilain lot
Que l’incrédulité ; jamais le dernier mot
Ne me reste, avec vous, et j’y mettrai bon ordre ;
Sur les gens vertueux vous aimez trop à mordre.
— Et soudain toutes deux se tournèrent le dos
D’un air de chats fâchés. — A-t-on vu, quels propos,
Cette madame Hubert devient impertinente ?
Et sa sortie était au moins inconvenante ;
C’est une femme à fuir, elle ne croit à rien !
À l’entendre, vraiment, être femme de bien
Serait fort difficile. — Ah ! que la pauvre vieille,
Disait madame Hubert, montre le bout d’oreille !
La défunte, à l’office, en mante de velours,
Lui parlait quelquefois ; alors, comme toujours,
La voisine d’un pied se trouvait rehaussée ;
N’importe, j’ai bien fait de dire ma pensée,
Hé, hé, je le prétends, la pure charité
Ne se paillette point de tant de vanité.

Avec sa facilité presque universelle, Mme Burguerie ne pouvait manquer d’aborder le théâtre, qui rapporte à la fois de la gloire et de l’argent. Ç’aurait été un grand triomphe pour elle, si elle avait pu faire représenter un drame. Quel coup de massue pour ses bonnes amies de la ville de Rennes, et pour les calfats de Nantes, qui cesseraient peut-être de railler la poésie, si, une fois devenus millionnaires, ils voulaient bien étudier les éléments de la langue française. Mme Burguerie écrivit successivement : Thérèsa, opéra-comique dont Adam devait faire la musique : Le Connétable de Bourbon, drame en vers ; le Concert d’amateurs, fantaisie lyrique. Dans l’Enlèvement, qui est un drame lyrique à grand spectacle, on trouve un coloris oriental remarquable mêlé à la mélancolie du nord. Ce drame contient comme le Cid de Corneille, des strophes qui coupent le dialogue. J’en citerai quelques-unes, déclamés par l’héroïne de la pièce, que la passion tourmente, et qui invoque toute la nature, pour lui demander ce que son cœur désire.

INEZ, (seule).

Le soleil est caché derrière la colline,
Un vague et doux parfum pénètre tous les sens ;