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Sur sa lèvre entrouverte un mot mystérieux.
Non, jamais Raphaël, exaltant Fornarine,
Jamais le Giolto, dans ses peintures d’or.
N’ont su représenter, des cieux enfin voisine,
L’âme épanchant ainsi son plus chaste trésor.
C’est Dieu qui, pour la femme, accordant sans mesure,
Et la bonté du cœur et la sainte beauté,
Voulut que, dans la vierge, une double, nature
Se révélât de suite au regard transporté.
Et conquérant tout cœur, d’un coup rapide et juste,
Au ciel qui l’attendait en lit l’offrande auguste.

Pendant la Nuit.

Dans le gris du matin, sans soleil et sans lune,
La chaîne des grands monts se laisse apercevoir,
Avec un pie d’argent sur chaque pente brune ;
Eux seuls percent la nuit, et tout le reste est noir.

Un silence effrayant règne sur la vallée ;
Un bois de verts sapins sur la hauteur s’étend,
Ainsi qu’un champ de mort à la funèbre allée,
Et des brouillards épais cachent l’eau de l’étang.

C’est la nuit, c’est la mort ; nul oiseau, nul murmure,
Et cependant en moi je sens mille chansons,
Car hier Mathilda, jouant sur la verdure,
M’a donné son bouquet cueilli dans les buissons.

Lugos.

Mon père s’est assis à l’ombre du grand chêne ;
Il a sur mon blanc front posé ses doigts flétris :
« Prends garde, m’a-t-il dit, si ton âme s’enchaîne,
» La vertu peut faiblir lorsque le cœur est pris.
» Le soir, avec Lugos, on te voit, dans la plaine,
» Et parler, et chanter, et courir au hasard ;
» Ton cœur n’est pas de ceux que le désir entraîne,
» Mais Lugos te poursuit, et tu rentres bien tard !

Et moi, j’ai murmuré, baissant ma tête blonde,
Où Lugos a souvent mis son âpre baiser :
« Que m’importent, vieillard, les vains propos du monde ?
» Quand le cœur a bondi, qui pourrait l’apaiser ?
» La fleur cherche la fleur, et l’onde cherche l’onde,
» C’est la loi du Destin, l’amour règne en tout lieu ;
» Il veut qu’à son appel toute lèvre réponde,
» Et nul ne peut lutter contre la voix d’un Dieu ! »

Milon de Crotone.

Lorsque, le cœur serré, je m’en allais en classe
Sur les bancs tout usés prendre, triste, ma place,
Pour me nourrir, hélas, ne trouvant sous ma main
À défaut d’aliments, que l’orateur romain,
J’avais pourtant des jours où mon âme embrasée
S’enivrait à longs flots d’une sainte rosée,
Des jours où je nageais dans un calme bonheur,
Et pourtant, qui m’eût vu, peut-être aurait eu peur !
Mon esprit dilaté cherchait, avec extase,
Ces antiques récits pleins d’une sombre emphase,
Où l’on peignait les dieux, verts d’un céleste fiel,
Se jetant tour à tour à la porte du ciel ;
Les informes Titans, géants aux cœurs sublimes,
Escaladant la nue en étageant les cimes,
Et dans le monde humain, le robuste Miton
D’un coup de poing brisant le crâne d’un lion,
Et tordant les sapins et déchirant les chênes
Pour démontrer à tous la vigueur de ses haines.
Voilà les grands récits qu’un homme maigre et sec,
Pour nous former au bien, nous expliquait en grec.

Oh moi ! j’aurais voulu, possédant plus de force,
Non pas, pour la briser, gémir sur une écorce ;
Mais, broyés tout vivants, jeter dans les sillons
Les hommes rassemblés par larges bataillons.
De l’humanité faire une pâte confuse,
Et comme le Titan qui gît à Syracuse,
Remplissant mes poumons du rouge feu des mers,
De mon souffle brûlant consumer l’univers,
Car je voyais déjà dans mon âme enfantine
Que tout homme ici-bas porte une âme assassine,
Et qu’à le convertir vouloir s’évertuer,
C’est un rôle illusoire — et qu’il vaut mieux tuer.

La Retraite du Cœur.

IMITÉ DU ROI DE SUÈDE.

Où donc est ta retraite, ô mon cœur, parle-moi,
Fidèle compagnon qui, depuis ma naissance,
Et dans les jours d’extase et dans les jours d’effroi,
Me consolas toujours mieux qu’un ami d’enfance.
Dis-moi si la retraite, asile de bonheur,
Est sur la verte plaine où le ruisseau soupire ;
Ou dans le bois touffu, qu’agite le zéphire ?
— Oh non, ce n’est pas là, me répondit le cœur.

Où donc est ta retraite ? Est-ce le fier rocher,
Que baigne le torrent de son onde écumante,
Dont le hardi chasseur ose seul approcher
Quand la tempête au loin a semé l’épouvante ?
Est-ce où la poudre luit, où Bellone en fureur
Marque d’un sceau fatal le combattant qui tombe,
Où l’obus enflammé creuse à chacun sa tombe ?
— Oh non, ce n’est pas là, me répondit le cœur.

Où donc est ta retraite, est-ce vers l’Orient
Où la vigne, au soleil, de grappes d’or se couvre,
Où la rose toujours, en un climat riant,
Aux chants du rossignol se balance et s’entr’ouvre ?
Où le tronc du palmier, d’un sol brûlé vainqueur,
Élève vers les cieux sa géante verdure,
Où le froid n’a jamais attristé la nature ?
— Oh non, ce n’est pas là, me répondit le cœur.

Où donc est ta retraite ? Est ce au pôle lointain
Où la glace toujours sur les cimes rayonne,
Où, rapprochant le soir du lumineux matin
Le soleil sait garder, intacte, sa couronne ?
Où, des sapins neigeux pour dissiper l’horreur
Et paraître splendide au milieu d’un ciel pâle,
Éclate en feux changeants l’aurore boréale ?
— Non, non, ce n’est pas là, me répondit le cœur.

Où donc est ta retraite ? Auprès de l’ange aimé
Qui te donna son âme à la tienne fidèle
Lorsque, vous abritant comme un dais parfumé,
Le bonheur radieux vous couvrait de son aile ?
Le ciel bleu s’obscurcit : Tu connus la douleur,
Mais tu gardes toujours une chère mémoire ;
Est-ce là que tu veux aimer, prier et croire ?
— Non, ce n’est pas là, dit en gémissant le cœur.

Où donc est ta retraite ? Au sein de cet azur
Où, l’orage passé, l’homme s’en va renaître,
Où, pour un ciel plus beau, quittant ce monde impur,
Aux pieds de l’Éternel il apprend à connaître ?
Au fond de cet espace ou la tiède vapeur
Des astres scintillants n’éclaircit aucun voile,
C’est là qu’il faut aller, dépassant chaque étoile ?
— Oh ! oui, oui, c’est bien là, me répondit le cœur.

Oh ! oui, oui, c’est bien là que je veux reposer,
C’est là que je suis né, que je veux trouver grâce.
Des flammes d’ici-bas si j’ai pu m’embraser,
De la flamme du ciel j’ai conservé la trace,
Et dans le jour suprême, effaçant toute erreur,
Une étincelle, encore aujourd’hui sous la cendre,
S’élancera vers Dieu qui voudra bien m’entendre,
Car c’est en Dieu, lui seul, que réside le cœur.

Soir d’Automne.

De son crêpe le soir vient voiler toutes choses,
Mais là bas, éclairant le bord lointain du ciel,
Le soleil affaibli garde ses teintes roses,
Vers la prairie où plane un calme solennel.

La lune, à l’orient, paraît, timide encore,
Jetant, sur les grands bois son sourire ingénu,
Pour apaiser le cœur qu’une angoisse dévore,
Et lui verser l’oubli, dans un monde inconnu.

À mes pieds, du ruisseau coulant avec mollesse,
S’élève une vapeur en légers tourbillons,
Qui cache la nature et qui cependant laisse
Du soleil sur ma joue expirer les rayons.

Je regarde, en rêvant, à travers ce nuage,
Les hauteurs de l’éther où resplendit l’azur,
Pendant, qu’en mon esprit la nuit sombre et l’orage,
Reflets de mes pensées, tendent leur voile obscur.

C’est que, chaque matin, redorant la campagne,
Le jour rapporte au monde un spectacle plus beau,
Tandis que l’homme, hélas ! sans ami, sans compagne,
Quand vient la grande nuit, ne sort plus du tombeau.

L’écorché.

Pour calmer mon ennui, dès que le palais s’ouvre,
Par les jours de soleil, souvent je vais au Louvre,
Et je laisse au hasard mes pas capricieux
Chercher les grands sujets qui plaisent à mes yeux.
J’aime ce lieu surtout, négligé de la foule,
Qui de la grâce antique a respecté le moule,
Et dans qui mille dieux de leurs temples chassés,
Font luire leur courroux sous leurs sourcils froncés.
Peuple découronné, dispersé sur la terre,
S’il a perdu son trône, il garde son mystère,
Et ces marbres rongés par notre ciel brumeux
Me présentent toujours des symboles fameux.
La céleste Vénus cache dans sa ceinture
L’aiguillon du Désir qui provoque et torture ;
Hermès, ignoble dieu du commerce et du vol,
Garde toujours son pied posé sur notre sol.
Jupiter seul est mort, et sa terrible foudre
N’est qu’un grotesque engin qui se réduit en poudre.
Mais sur son front hautain, on voit briller encor
Quelques ardents reflets du nimbe à rayon d’or.
Or, comme un jour, j’allais en parcourant les salles,
Marchant avec respect sur les pesantes dalles,
Où l’air qui circulait dans les longs corridors
Semblait un air chargé de la cendre des morts,
Mon regard s’abattit sur le maigre satyre
Qui frissonne d’horreur au moment qu’il expire.
Car le bel Apollon, du haut de son rocher,
Le livre à ses bourreaux et le fait écorcher.
La chair est déchirée, et ronge, et pantelante,
Le sang coule à grands flots de la veine sanglante,
Et le tronc palpitant, qui de douleur se tord,
Offre un spectacle affreux, plus navrant que la mort.

Eh bien ! toi qui frémis en voyant le satyre,
Tu crois n’avoir jamais commis un tel martyre,
Mais es-tu bien certain que jamais le malheur
N’a déchiré par toi l’enveloppe d’un cœur,
Qu’il n’a jamais coulé de la fibre béante
Ces rouges pleurs de sang qui font l’âme dolente,
Et qu’un cœur féminin, crucifié par toi,
Dans ses affreuses nuits ne s’est tordu d’effroi ?
C’étaient jadis les dieux qui, vengeurs implacables,
Se montraient plus cruels que les plus grands coupables,
Aujourd’hui, le progrès est venu tout changer,
Et c’est l’offenseur même qui cherche à se venger.

L’Auberge du Tombeau.

Amis, connaissez-vous, dans le charmant village
Où venaient autrefois et Racine et Boileau,
Une hôtesse bien vieille, au souriant visage,
Au front plus pâle encor que le tronc du bouleau ?

Oh ne méprisez point la demeure modeste
Qu’habite un couple heureux, oublié du destin.
Car leurs yeux sont remplis de cette paix céleste,
Que notre cœur, hélas ! ne sent qu’à son matin.

Ce couple ne m’a point raconté son histoire ;
Visiteurs indiscrets, osez l’interroger ;
D’avance, je suis sûr qu’il a gardé mémoire
D’un passé moins obscur, et qui le fait songer.

Visitez le jardin, où, sous les feuilles vertes,
Des sièges sont dressés, faits de bois vermoulu ;
Là, jamais de buveurs près des tables désertes,
Est-ce l’homme ou le temps qui n’en a plus voulu ?

J’y viens souvent rêver, sans chercher ce problème ;
Rien dans ce frais réduit ne sent la pauvreté,